24 heures avec un chauffeur VTC

 24 heures avec un chauffeur VTC

Photos de Farida Bréchémier pour le Courrier de l’Atlas


MAGAZINE DECEMBRE 2017


Depuis un peu plus d’un an, Amri Said, Français d’origine algérienne, sillonne jour et nuit les rues parisiennes au volant de sa voiture. Sa profession ? Chauffeur de VTC (véhicule de tourisme avec chauffeur). Nous l’avons suivi, le temps d’une journée, pour partager son quotidien.


10 h 17 : jeudi 2 novembre, une berline grise se pose sur l’asphalte de la rue d’Alleray. A son bord, Amri Said, 29 ans. Chauffeur Uber depuis un an et deux mois, il connaît les axes de la capitale comme sa poche. Cela fait plus de deux heures qu’il roule. Parti de Clichy, en banlieue, où il réside, le voilà maintenant dans le XVe arrondissement. “Je ne sais jamais où les courses vont me mener. A chaque fois, c’est la surprise”, s’amuse-t-il.


10 h 30 : Le téléphone sonne. Une commande ! Amri accepte la course d’un glissement de doigt sur son portable. Direction : rue de Vaugirard. Un grand jeune homme l’attend sur le trottoir. Clignotant à gauche, rapide coup d’œil dans les rétroviseurs, en quelques secondes, le véhicule est garé, prêt à accueillir son nouveau passager. Amri lui ouvre la porte. Dans un vrombissement, la voiture repart. “Vous voulez écouter la radio Monsieur ?” Sur un son de Soprano, l’“Amri-mobile” se faufile avec aisance entre les véhicules, et les jambes commencent à remuer en cadence.


10 h 45 : Le client déposé, direction la supérette la plus proche. “Je dois acheter des bouteilles d’eau”, se rappelle le chauffeur. Une fois les emplettes effectuées, il faut déjà repartir. “Le temps, c’est de l’argent. Je me suis fixé un chiffre journalier et je ne termine mon service qu’une fois ce chiffre atteint.”


11 h 20 : Le soleil est au rendez-vous… pas les commandes ! Le téléphone n’a pas sonné depuis une vingtaine de minutes. “Il faut savoir être patient dans ce métier”, assure Amri, lorgnant du coin de l’œil son portable. Cette période d’accalmie est propice aux confidences. “Cette activité professionnelle a changé ma vie, ainsi que celle de beaucoup de gens des quartiers défavorisés. Malgré ma formation de comptable, je ne trouvais pas de travail. Aujourd’hui, j’ai un salaire tous les mois. J’ai pu offrir à ma femme un beau mariage. Et maintenant que je suis un heureux papa d’une petite fille de treize jours, Lilia, j’ai besoin de stabilité, confie-t-il.


11 h 30 : Quai d’Orsay. Le téléphone retentit enfin… Demi-tour toute ! Dans la rue Fabert, une jeune femme brune patiente. Le chauffeur la salue avec sa bonhomie habituelle. Sur un air pop-rock, l’auto redémarre. Le trajet est de courte durée. Souriante, la cliente sort du véhicule après avoir remercié Amri pour “l’excellente petite balade”.



11 h 45 : Boulevard des Invalides. Une nouvelle sonnerie fait écho dans l’habitacle. A l’adresse indiquée, personne ! Le conducteur appelle la cliente. La dame a perdu ses clés. Amri décide d’annuler la course pour lui éviter de payer. “J’aurais pu ne pas annuler et ainsi gagner de l’argent sans même avoir à conduire. Mais je me dis que ça pourrait être moi ou ma mère…”


11 h 52 : Dring dring. Encore une commande. Une jeune femme aux longs cheveux noirs attend derrière ses larges lunettes de soleil. Après avoir posé son imposante valise dans le coffre, Amri lui ouvre la porte. La passagère, une Américaine à en juger par son accent, souhaite écouter de la musique. Sur un air de Rihanna, le véhicule trace son chemin vers la place de la Concorde. Un feu, puis deux, puis trois… Insouciants, certains cyclistes ne semblent pas voir la voiture. “A vélo, les gens ne respectent pas le Code de la route. C’est très dangereux”, déplore Amri.


12 h 04 : Le chauffeur dépose la cliente devant un hôtel, puis se gare quelques instants. “Je vais regarder si les passagers d’aujourd’hui m’ont noté… C’est bon, ma moyenne n’a pas baissé.” Amri peut souffler, 4,9/5… Mention très bien !


12 h 12 : Boulevard Malesherbes. Un grand jeune homme entre dans la voiture, visage fermé. “Vous n’auriez pas de l’eau ?”, marmonne-t-il avec gravité. “Bien sûr Monsieur”, rétorque poliment Amri en lui tendant une bouteille. Petit à petit, le passager se détend. “Il fait beau aujourd’hui. Vous êtes chauffeur depuis longtemps ?”… L’amabilité du conducteur semble avoir eu raison de la mauvaise humeur du trentenaire, désormais prompt à la conversation. Au niveau de l’Arc de triomphe, Amri s’immisce sans encombre au milieu du tumulte routier, où klaxons, bruits de moteurs, crissements de pneus et noms d’oiseaux se mêlent dans un vacarme tonitruant. Soudain, une voiture déboule sur la gauche. Heureusement, Amri est aux aguets et parvient à freiner à temps. Il s’en est fallu de peu.


12 h 47 : Hôpital Foch, à Suresnes. Il récupère un couple devant les urgences. La femme est en pleurs. Délicat et attentionné, le chauffeur fait son possible pour lui être agréable.


14 h 45 : Après une course, direction Clichy pour changer une ampoule.


15 h 15 : L’appétit vient en roulant, une petite pause kebab s’impose. Un peu de parfum pour camoufler les odeurs de friture… et c’est reparti !



15 h 45 : Boulevard Berthier, dans le XVIIe arrondissement. Sa fille dans les bras, une jeune maman entre dans la voiture. L’enfant écoute de la musique sur le téléphone de sa mère. Fan de la chanson Happy Birthday to You, elle l’écoute en boucle tout en mâchant son chewing-gum. “Tu n’as pas avalé ton chewing-gum ?” demande soudain la jeune femme. “Non.” “Où est-il alors ?” “Dans mon ventre”, répond la fillette. Les rires éclatent.


16 h 20 : Rue de Varenne. Nouvelle cliente. Emmitouflée dans son manteau de fourrure, elle monte. “Bonjour Mademoiselle. Un peu de musique ?” “Non merci, j’ai un petit mal de crâne d’hier soir”, dit-elle en riant. “Uber, c’est toute ma vie ! Le confort est top et les chauffeurs sont super sympas”, poursuit-elle en faisant un clin d’œil à Amri.


17 heures : L’as du volant nous dépose dans le XVe arrondissement avant de poursuivre sa journée de travail… Et elle est loin d’être terminée ! “Je vais rouler jusqu’à 4 heures du matin je pense. J’ai découvert ‘Paris by night’ grâce à Uber. Le coucher de soleil, les lumières, c’est magnifique ! Et puis, le soir, les gens sont plus souriants, plus bavards, moins stressés.” Rugissante, la voiture repart…

Jonas GUINFOLLEAU