« Faire le Noir de service, c’est pas pour moi ». Alexandre Desane, acteur

 « Faire le Noir de service, c’est pas pour moi ». Alexandre Desane, acteur

Alexandre Desane, dans le rôle de Frantz Fanon, à Blida, sur le tournage du film d’Abdenour Zahzah. Photo : Josué Pichot

Le 17 juillet dernier, dans une salle pleine du Luxy à Ivry-sur-Seine (94), le Decolonial Film Festival présentait Frantz Fanon, le long-métrage du cinéaste algérien Abdenour Zahzah. Un film qui explore les années de Fanon à l’hôpital psychiatrique de Blida, entre 1953 et 1956, alors que la guerre d’indépendance gronde déjà. Et pour incarner le célèbre psychiatre martiniquais, un visage inconnu du cinéma français. Un nom que vous ne connaissez peut-être pas encore : Alexandre Desane.

Il vient de Villepinte, a 40 ans, bosse comme développeur web. Et pourtant, c’est lui qui a endossé le costume lourd, brûlant, de l’une des plus importantes figures de l’anticolonialisme du XXᵉ siècle. Rencontre avec un homme qui n’a rien lâché.

LCDL : C’est votre premier grand rôle, douze ans après avoir démarré votre carrière d’acteur…

Alexandre Desane : C’est vertigineux. J’ai toujours su que si je devais entrer au cinéma, ce serait pas par la petite porte. Pas pour faire rire trois secondes ou servir de caution diversité. On m’a proposé des rôles caricaturaux : dealer, mec violent, etc. J’ai toujours refusé.

Faire le Noir de service, c’est pas pour moi. J’ai préféré continuer à bosser dans le web. Quitte à attendre. J’étais pas pressé. J’ai attendu douze ans pour décrocher un premier rôle. Et j’ai bien fait.

Pas de casting pour ce film ?

Pas vraiment. Damien Ounouri (NDLR : réalisateur franco-algérien), que j’ai rencontré dans un festival, parle de moi à Abdenour Zahzah. De passage à Paris, le réalisateur algérien m’écrit, on se voit. Il me regarde. Il m’écoute. Et il me dit : « C’est toi, Frantz Fanon. » Il m’a fait confiance. Direct. Ça existe encore, ce genre de folie !

Qu’est-ce que ça fait d’incarner Fanon ?

C’est un choc. Tu peux pas jouer Fanon à moitié. Tu le prends ou tu dégages. J’ai plongé. J’ai lu, j’ai écouté, j’ai marché là où il a marché. Et surtout, j’ai essayé d’être à la hauteur de l’homme : médecin, penseur, combattant, révolutionnaire. Il n’a pas simplement écrit Les Damnés de la Terre. Il a soigné. Il a aimé. Il a lutté avec les tripes.

Vous dites : « J’ai été médecin »…

Oui. J’ai dit ça à mon père après le tournage : « Papa, j’ai été médecin. » J’ai senti ce que c’était de porter des gens. De les écouter. De vouloir réparer quelque chose en eux. Et mon père, né en 1956, je l’ai un peu mis dans le rôle. J’ai repris sa voix, ses silences. J’ai incarné Fanon, mais j’ai aussi parlé à travers lui. Il y avait une résonance. Une mémoire.

Alexandre Desane, vous êtes haïtien. Vous sentez un lien avec l’Algérie ?

Évidemment. Quand tu viens d’un peuple qui s’est libéré lui-même, tu reconnais les cicatrices, les odeurs, la rage et l’amour qu’il faut pour briser ses chaînes. Fanon était martiniquais. Il a fait de la lutte algérienne sa cause. Moi, Haïtien, j’ai porté son combat comme un miroir. C’est dans la peau.

Le tournage à Blida, c’était comment ?

Intense. 22 jours, c’est rien pour un long-métrage. Un jour de repos. On a tourné dans l’hôpital où Fanon a vraiment travaillé. Il y avait de vrais psychiatres parmi les acteurs. Et puis ce pays… l’Algérie. Je l’ai découverte avec l’estomac. Je me souviens d’une orange. Vous rigolez peut-être, mais j’ai découvert le goût de l’orange en Algérie. J’en ai encore le goût dans la bouche.

Vous avez rencontré le fils de Fanon à Blida…

Oui, il avait un rôle dans le film. J’étais impressionné. Je lui ai dit l’immense chance que j’éprouvais de le rencontrer. Et il m’a regardé et il a juste dit : « Bonjour Papa. » Ça a démystifié notre rencontre.

Vous vivez de ce métier ?

Pas encore. Peut-être un jour. Je suis toujours développeur. En free-lance, comme ça je peux choisir mes rôles au cinéma. Quand je tourne, je coupe tout. Je préviens mes clients. J’ai ce luxe-là : je bosse pour vivre, pas pour me vendre. Je ne jouerai jamais ce que je ne peux pas défendre.

Des regrets ?

Zéro. J’ai tenu bon. Je me suis pas plié. J’ai pas trahi. Et aujourd’hui, je regarde mon père en face. Et je lui dis : « J’ai rien fait que je regrette. »

Et maintenant ?

Je tourne en octobre dans un nouveau long-métrage. Et je sors une série documentaire sur YouTube.
Je veux continuer à raconter des histoires puissantes.

Fanon, s’il était là, il vous dirait quoi ?

Je crois qu’il aurait dit : « Tu t’es tenu droit. »


Frantz Fanon, un film de Abdenour Zahzah
Sortie nationale : mercredi 23 juillet
Avant-première : mardi 22 juillet à 20 h, cinéma Saint-André-des-Arts, Paris

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Pour en savoir plus sur la pensée et l’héritage de Frantz Fanon, rendez-vous sur le site de la Fondation Frantz Fanon.