Génération Z – S’attaquer à la Hogra

Des jeunes manifestent pour des réformes à Rabat, le 2 octobre 2025. (Abdel Majid BZIOUAT / AFP)
Symbole des difficultés à parler d’une seule voix, autour de revendications claires, définitivement arrêtées, les jeunes de la génération Z sont désormais plongés dans une atmosphère de récupération, dont on ne connaît pas vraiment les instigateurs et leurs objectifs non avoués.
Premier couac, la violence et la contre-violence des forces de l’ordre, les jeunes, porteurs de valeurs, se sont tout de suite désolidarisés de ces individus qui ont opté pour le saccage et le pillage des magasins et autres agences bancaires. « Nos manifestations seront entièrement pacifiques, nous rejetons toute forme de violence ou de vandalisme », se défend le collectif, soucieux de se démarquer des scènes de violence qui ont marqué les nuits précédentes.
D’où la question qui revient comme un leitmotiv : au moment où « les cerveaux » du collectif né sur la plate-forme Discord, eux-mêmes insistent pour rappeler que leurs appels à manifester s’inscrivent dans le respect absolu de la loi et condamnent impérativement toute forme de violence, il faut bien que les heurts violents avec la police et les scènes de pillage et de destruction répondent à une logique, même si ce n’est pas celle de la génération Z elle-même ?!
Bien sûr, on peut aisément imaginer que quelques individus, voyous notoires et criminels professionnels, aient réussi à profiter de ces tensions sociales pour user du fameux adage qui dit « l’occasion fait le larron », mais la concordance des violences et le choix des établissements ciblés répondent bien à une stratégie et à un plan parfaitement coordonnés.
Le meilleur exemple restant sans doute l’attaque d’une caserne de la gendarmerie à Lqliaa, où des individus ont encerclé un poste de la Gendarmerie royale en y mettant le feu et en essayant de s’emparer d’armes à feu et de munitions, entraînant la mort de trois parmi les assaillants.
Le parquet a ouvert une enquête pour déterminer dans quelles circonstances et par quels individus a été mise en œuvre une attaque aussi grave visant un poste de la Gendarmerie. Lors d’une conférence de presse, le Procureur général du Roi près de la Cour d’appel d’Agadir a rappelé qu’il est établi selon les premiers éléments de l’enquête que les 200 personnes étaient déterminées à s’emparer des armes de la gendarmerie, précisant ainsi qu’il s’agit bien d’un acte prémédité et bien planifié.
Les spécialistes en cybersécurité que nous avons sollicités assurent avoir signalé un nombre très important de comptes fictifs nés avant et pendant les manifestations sur diverses plateformes sociales, accompagnés de fausses vidéos générées par l’IA et qui incitent à plus de violence des mouvements de protestation.
C’est ce que confirment d’ailleurs les analyses détaillées de l’Institut géopolitique Horizons, qui a ainsi conclu à « une campagne de guerre cognitive coordonnée visant le Maroc, déployée avec une précision temporelle remarquable entre le 1er et le 5 septembre 2025 ».
Cette opération d’influence, orchestrée via cinq comptes sociaux créés simultanément sous l’identité usurpée de « jeunesse marocaine ». Avec à la clé une création coordonnée de comptes : « Les cinq plateformes présentent des patterns de création suggérant une planification centralisée avec attribution d’identifiants cohérents mais suffisamment différenciés pour éviter la détection automatique ».
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Hyperconnectés, surmédiatisés, sollicités en permanence et saturés de contenus, les jeunes Marocains ont servi de relais à une « appropriation de l’identité “jeunesse marocaine” pour créer une légitimité narrative artificielle et contourner les mécanismes de détection des campagnes d’influence étrangère ».
Pourquoi maintenant ? L’institut évoque un timing géopolitique qui coïncide avec la période pré-décisionnelle du Conseil de sécurité (octobre 2025), car l’agenda d’octobre 2025 du Conseil de sécurité de l’ONU prévoit l’examen définitif de la proposition marocaine d’autonomie sous souveraineté pour le Sahara, actant potentiellement la clôture définitive d’un dossier vieux de 50 ans.
Pourquoi la mayonnaise a-t-elle pris aussi facilement ? C’est que d’un côté, les attentes sont énormes et personne ne peut nier le désespoir inouï qui frappe la jeunesse marocaine, qu’elle soit diplômée ou non. Des diplômés chômeurs, il y en a à la pelle ; des jeunes sans autre horizon que la drogue ou l’exil au péril de leur vie, ce n’est pas ce qui manque.
Et de l’autre côté, la seule réponse, c’est ce mépris de classe qui ronge la société marocaine de l’intérieur. Et si le problème des jeunes de la génération Z était tout simplement une conséquence logique d’une « hogra » de plusieurs décennies ?
On peut tenter de traduire « la hogra » par le mépris, mais il semble que le terme charrie également un sentiment d’impuissance vis-à-vis de l’attitude des « puissants », une arrogance politique, un mépris de classe marqué par des joutes verbales et des querelles relayées sur les réseaux sociaux de responsables se croyant au-dessus de tout et de tous, dénués du moindre sens moral dans l’action politique, renforçant le sentiment collectif que la classe politique au pouvoir n’accorde aucune considération aux « enfants du peuple ».
En clair, on peut parfaitement comprendre l’indignation des jeunes et moins jeunes face au mépris de classe, mais il semble que la victimisation à outrance du petit peuple n’est qu’une preuve de plus qu’au-delà de bien des maux qui rongent notre société, les ingrédients du populisme avec son inversion du réel, des valeurs et des responsabilités nourris par le complotisme sont bien là.
