L’attentat du Bataclan

 L’attentat du Bataclan

Crédits photos :Martin Bureau/AFP – Caroline Paux/Citizenside/AFP


MAGAZINE NOVEMBRE 2017


LE CONTEXTE : 13 Novembre 2015


En 2014, le nombre d’attentats dans le monde a augmenté de plus d’un tiers par rapport à l’année précédente, tuant plus de 32 700 personnes, soit une hausse de 81 % sur un an. Des actes essentiellement attribués à l’Etat islamique (EI). Et 2015 confirme tristement cette recrudescence. Le 7 janvier, c’est la tuerie de Charlie Hebdo. Les frères Kouachi font 12 victimes. La rédaction du journal satirique, mais aussi deux policiers et un agent de maintenance sont foudroyés par ces actes de barbarie. Deux jours plus tard, c’est au tour de l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes d’être pris pour cible. Amedy Coulibaly tue quatre personnes avant d’être abattu par les forces du GIGN. Le 21 août, un attentat est déjoué dans le Thalys. Trois passagers américains, aidés d’un Britannique, maîtrisent le forcené avant qu’il ne passe à l’acte. Armé d’une kalachnikov, il s’apprêtait à commettre un massacre. Les attentats se multiplient partout sur la planète : à Ankara, 102 morts ; dans l’explosion d’un avion de ligne russe, 224 victimes ; à Beyrouth, 43 morts…


Le 13 novembre, les attentats de l’EI plongent la capitale française dans l’effroi, avec une série de fusillades et d’attaques suicides à Paris et en proche banlieue : près du Stade de France, à Saint-Denis, où se déroule un match de football, France-Allemagne, en présence de François Hollande, dans les rues des Xe et XIe arrondissements et au Bataclan. En plein concert des Eagles of Death Metal, un commando pénètre dans la salle où se trouvaient 1 500 personnes et ouvre le feu aveuglément sur le public.


Le témoin : EMMANUEL, 38 ANS


Avec plusieurs cordes à son arc, Emmanuel multiplie les activités professionnelles dans le secteur de la presse et de l’audiovisuel. Il est ce qu’on peut appeler un “homme de son époque”. Sportif aguerri (football et vélo), il se passionne aussi pour la musique. Fan de rock, il est abonné aux concerts en live. Présent au Bataclan le 13 novembre 2015, il a assisté impuissant au massacre. Il raconte l’impensable, qu’il a pourtant vécu ce jour-là.


 


Nous étions deux. J’avais été invité ce soir-là au concert des Eagles of Death Metal. Je connaissais déjà le groupe et j’ai hésité à y aller, mais mon ami ne l’avait ­jamais vu sur scène, alors, au dernier moment, on a décidé de se rendre au Bataclan. On a pris un verre au bar situé à côté de la salle de concert, et on a zappé la première partie. Nous sommes arrivés assez tard, vers 20 h 30 environ. Posés dans la salle, on a hésité à boire un autre verre. C’est assez cher et on sortait du bistrot. J’étais habillé avec un gros blouson et j’ai dit à mon ami que je préférais être dans la fosse.


 


Et soudain, la panique


La salle était blindée et l’ambiance très cool. Mon ami me disait que c’était super et qu’il était content d’être là. Le concert avait débuté depuis une demi-heure environ et c’est sur la chanson Kiss The Devil que le cauchemar a commencé. Je m’en souviens bien, car c’est un de leurs titres emblématiques. Au début, quand on a entendu des bruits bizarres, j’ai pensé que c’était la console qui avait un problème. Mais plus les secondes s’écoulaient et plus le doute s’installait.


J’ai commencé à flipper et une fille à côté de moi m’a dit que c’était juste des pétards. Elle cherchait surtout à se rassurer parce que moi, je lisais bien la panique sur son ­visage. A ce moment-là, on était dans le noir, donc on ne voyait strictement rien, pas d’étincelle, rien.


Soudain, j’ai vu des gens s’accroupir et les lumières se sont rallumées. Certaines personnes ont dû apercevoir quelque chose et se sont spontanément baissées. Le reste des spectateurs a suivi le mouvement. Et là, tout le monde s’est allongé. Plus de doute possible. C’est l’un des régisseurs qui a allumé les lumières. Je pense que c’était une bonne initiative, on pouvait enfin voir ce qui se passait.


Rapidement, j’ai compris qu’il s’agissait d’une attaque. Des tirs et des cris…J’avais beau ne pas y croire, c’était ­bien un attentat. Mon ami se souvient m’avoir ­entendu dire ‘mais ce n’est pas possible, mais ce n’est pas possible !’.


J’ai alors pensé que j’allais crever et tout est devenu flou. Je n’avais plus de notion du temps. Je me souviens vaguement avoir aperçu un des terroristes dans l’alignement de l’entrée de la salle. C’était le seul mec debout. J’entendais les coups de feu et des gens hurler. La musique s’était arrêtée, mais pas les tirs. A partir de ce moment-là, il n’y avait plus aucun autre son que ­celui des balles. Quand les terroristes ont rechargé leurs armes, quelqu’un a hurlé ‘cassez-vous !’. Ce qui a provoqué un mouvement de foule. Là, sans réfléchir, j’y suis allé, direct. Je me suis enfui de la fosse en courant.


J’ai repris conscience, lâché mon sac et foncé vers la scène pour sortir de cette foule affolée. Les gens se marchaient dessus. Tout le monde criait, c’était la panique. J’avais beaucoup de mal à avancer. Les gens étaient massés les uns sur les autres. J’ai alors rassemblé toute mon énergie et j’ai réussi à monter sur la scène. Je pensais trouver une sortie sur la droite, en fait, elle était à gauche… pas d’issue possible, donc. Je me suis alors caché derrière des rideaux et j’ai vu une porte. Elle donnait sur une petite salle. Des spectateurs s’y étaient réfugiés et d’autres accouraient pour s’y planquer. Les gens étaient plutôt calmes et cherchaient à barricader les portes en évitant de faire du bruit. Moi, j’avais très peu de place, j’étais sur la pointe des pieds et ça a duré longtemps.


 


Tirs en rafale et hurlements de terreur


Les seuls bruits qu’on distinguait étaient ceux des rafales, des tirs au coup par coup, et surtout des hurlements de terreur… Nous avions peur que les types arrivent. Pendant un moment, les tirs se sont espacés et j’ai cru que les forces de l’ordre étaient en train d’intervenir, mais non, il n’y avait que les terroristes. Et toujours des cris.


Ensuite, on a entendu les assaillants ­parler quand ils ont pris des spectateurs en otage. J’ai entendu des gens les insulter. Ils ont répondu que c’était de la faute de François Hollande. Ils ont aussi parlé de la Syrie, mais on n’entendait pas distinctement leurs propos.


Et là, il y a eu une explosion. Ça s’est produit sur la scène, juste à côté de nous. Un terroriste avait été atteint par une balle tirée par un commissaire de police, ce qui a déclenché sa ceinture d’explosifs. Les deux autres membres du commando étaient positionnés sur les balcons.


Plus le temps passait et plus on reprenait confiance. Vers la fin de l’attaque, on entendait des voix qui s’approchaient de plus en plus. J’ignorais qui c’était, personne ne savait. Les forces de l’ordre ? Des terroristes ? J’avais peur. C’est vraiment vers la toute fin que j’ai compris que c’était la police. Mais, jusqu’au dernier moment, on avait tous décidé de n’ouvrir à personne. Dans le doute, on ne bouge pas.


Les policiers ont alors défoncé la porte à la masse. On les a reconnus, alors on a laissé faire. Ils nous ont demandé de mettre les mains sur la tête et ils ont sorti les blessés en premier. Moi, je suis resté calme en tentant de rassurer les gens autour de moi. Comme tout le monde, j’ai attendu, soulagé et content de retrouver mon ami. Ce fut un moment de délivrance. Je comprenais que j’allais vivre.



Et partout, des corps, des morts


Après, il a fallu sortir en repassant par la salle, avec tous ces corps qui gisaient par terre. Les policiers nous disaient de ne pas regarder. Sur la scène, où le terroriste avait explosé, il y avait des bouts de chair humaine partout. Alors, j’ai avancé, en essayant de lever la tête, mais j’étais bien obligé de regarder vers le sol. Et là, c’était l’horreur. Je m’y étais pourtant préparé mentalement. Je savais qu’il y avait des morts, mais c’était au-delà de ce que je pouvais imaginer. La salle a été évacuée. Quand je suis sorti, tous les blessés étaient dehors.


 


Depuis cette date, je suis suivi psycho­logiquement et je continue ma vie. Je ­retourne assister à des concerts par exemple. Mais j’avoue que maintenant je scrute les lieux confinés en cherchant d’abord où se situent les sorties. Aujour­d’hui, voir une personne surgir avec une arme ne me m’étonnerait pas plus que ça. Et le climat actuel est hélas propice à ce genre de réaction !” 


Retrouvez notre offre spécial abonnement magazine sur le web ici

Kader Bengriba