Le fabuleux destin new yorkais de Zohran Mamdani

Candidat à la mairie de New York, Zohran Mamdani lors de l’assemblée publique « Fighting Oligarchy: A Town Hall on Making New York City Affordable », organisée au Brooklyn College, à Brooklyn, le 6 septembre 2025. (Photo : ANGELA WEISS / AFP)
Fils d’immigrés ougandais d’origine indienne, son profil atypique fascine les uns et inquiète les autres. Zohran Mamdani incarne une nouvelle génération qui assume une identité multiple et son engagement pour la justice sociale. Peut-il gagner la mairie de la ville la plus riche au monde tout en défendant la cause palestinienne ? Tel est son pari.
« Comme le disait Nelson Mandela, cela semble toujours impossible jusqu’à ce que ce soit fait », déclarait Zohran Mamdani le jour de sa victoire surprise à la primaire démocrate pour la mairie de New York, en juin dernier. Pas surprenant que ce natif de Kampala, capitale de l’Ouganda, cite Madiba. C’est en Afrique du Sud que ses parents, d’origine indienne, avaient d’abord trouvé refuge avant d’émigrer aux États-Unis, où il est arrivé à l’âge de sept ans.
Son père, professeur d’anthropologie, de sciences politiques et d’études africaines à Columbia, et sa mère, Mira Nair, réalisatrice multiprimée et Lion d’or à Venise en 2001, sont tous deux diplômés de Harvard. Zohran, lui, ne devient citoyen américain qu’en 2018.
Progressiste, musulman, immigré… Il a conscience d’être, selon ses propres mots, « le pire cauchemar de Donald Trump ». Le 47ᵉ président des États-Unis n’a d’ailleurs pas hésité à l’attaquer de front : « Je ne peux pas l’imaginer maire de New York. C’est un fou communiste », allant même jusqu’à menacer de l’expulser. C’est dire si ce trentenaire, très à gauche, fait peur aux républicains.
Une météorite politique
Telle une météorite, l’ex-rappeur amateur – il officiait sous le blaze de Mister Cardamon – était encore inconnu il y a quelques mois. À 33 ans, il a déjoué tous les pronostics avec une campagne éclair portée par les réseaux sociaux. Sourire indélébile et aisance relationnelle sont ses premiers atouts. Vient ensuite son identité multiple, qu’il revendique comme une force politique. Ce polyglotte, marié à une dessinatrice américano-syrienne, se dit fier de ses racines africaines et indiennes autant que de sa culture américaine.
Mais ce qui l’a propulsé en tête des sondages, c’est surtout son programme : taxer les ménages les plus favorisés, encadrer réellement les loyers, instaurer des bus rapides et gratuits. « C’est la ville la plus riche du pays, voire du monde, et un New-Yorkais sur quatre vit dans la pauvreté », dénonce-t-il, déterminé à incarner le camp des travailleurs.
Élu local au conseil municipal de New York avant cette percée, Zohran Mamdani s’était déjà fait remarquer par ses combats divers. Il s’est mobilisé contre les expulsions locatives et les violences policières, pour le climat, mais aussi pour la Palestine alors qu’il était encore étudiant.
Ces engagements lui valent aujourd’hui l’appui de figures majeures de la gauche américaine. « Il peut devenir le prochain maire de New York si un grand nombre se déplace. Allons-y, élisons Zohran », appelle Bernie Sanders. Alexandria Ocasio-Cortez, autre star du mouvement progressiste, l’a félicité d’une accolade dans une vidéo légendée : « Un monde meilleur est possible ».

Pour Younes Abouyoub, docteur en sociologie politique et chercheur à l’Université de la Nouvelle-Angleterre, cette percée a une portée symbolique : « Zohran Mamdani s’impose comme l’un des symboles politiques les plus visibles de cette nouvelle génération américaine. Il incarne à la fois le basculement démographique du pays, l’audace de ses ambitions radicales, la force de son ancrage dans les mobilisations de terrain et la volonté assumée de défier les structures de pouvoir établies de l’intérieur. »
L’essayiste Hajar Yazdiha, chercheuse en sciences politiques à l’Université de Californie du Sud, situe quant à elle Zohran Mamdani dans une dynamique générationnelle : « Contrairement à celle qui a précédé et qui cherchait la respectabilité, aujourd’hui la jeunesse musulmane américaine critique ouvertement son pays et s’allie à d’autres communautés pour promouvoir un changement systémique. » Selon elle, la montée des mouvements anti-immigrés a façonné une conscience politique aiguë chez ces jeunes issus de l’immigration. Confrontés au racisme et aux discriminations, ils considèrent la participation politique comme une nécessité vitale.
Mamdani n’est pas Obama
Cependant, la fulgurante ascension de cet homme politique ne se fait pas sans obstacles. L’intellectuel américain Norman Finkelstein, qui rejette les comparaisons avec Obama (élu sans véritable programme et soutenu par de grandes fortunes, contrairement au jeune candidat), estime que la principale arme de ses opposants sera l’accusation d’antisémitisme, comme cela avait été le cas pour Jeremy Corbyn au Royaume-Uni. Pour s’en prémunir, il conseille à ce dernier de se constituer un « mur de fer de Juifs qui le soutiennent » et de rappeler sans cesse que ses positions s’alignent sur celles d’Amnesty International, de Human Rights Watch ou encore de la Cour internationale de justice.
Hajar Yazdiha nuance ce risque. Défendre la cause palestinienne rejoint en réalité l’opinion d’une majorité silencieuse aux États-Unis, opposée au financement des guerres à l’étranger alors que les besoins internes restent criants. « Une éventuelle victoire démontrerait que dénoncer l’occupation et les crimes de guerre n’est pas un suicide politique », affirme-t-elle.
Elle insiste sur la manière dont cet enfant du Queens, où près de la moitié des habitants sont nés à l’étranger, maîtrise la politique de représentation en assumant son identité composite (Américain musulman, enfant d’immigrés, New-Yorkais) et sa capacité à la transformer en atout pour créer des ponts entre communautés.
Un pari inédit
Pour Younes Abouyoub, la candidature de ce progressiste « a envoyé un message à la jeunesse issue de l’immigration. Ils ne sont pas des invités dans ce pays mais les décideurs légitimes de son avenir politique. Elle leur a dit d’embrasser leur identité, d’être fiers de leur lutte, d’exiger un changement radical et de prendre le pouvoir politique selon leurs propres termes pour construire une société plus juste. »
Il estime que cet outsider est « sur une trajectoire gagnante ». Sauf imprévu majeur, sa victoire en novembre paraît très probable. Mais plus encore, il aura marqué les esprits en offrant aux jeunes une vision nouvelle de New York. Non plus une ville où l’on se contente de gérer les crises (criminalité, logement, pauvreté), mais un lieu transformé en profondeur où l’équité et le souci d’autrui ne sont pas des valeurs vaines.
Ce politologue souligne l’exception que constitue Zohran Mamdani parmi les élus issus des minorités. Alors que beaucoup se voient cantonnés au rôle de porte-voix communautaire, lui a su dépasser ce cadre. En défendant ouvertement les droits des Palestiniens, il a montré que ce combat n’était pas contradictoire avec les priorités des New-Yorkais, mais bien « partie intégrante d’une même exigence de justice, ici comme ailleurs ».
Pour cet enfant d’immigrés, la cause palestinienne et la justice sociale relèvent du même combat. C’est dans ce refus de cloisonner les luttes qu’il tire sa force. Loin de l’isoler, ce positionnement n’a fait que renforcer sa légitimité. Ce pari inédit deviendra-t-il réalité ? Verdict des urnes le 4 novembre.
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