Libération de Sonia Dahmani : retour sur un long combat judiciaire

 Libération de Sonia Dahmani : retour sur un long combat judiciaire

Tunis – Coup de théâtre ce jeudi 27 novembre 2025 : la ministre de la Justice tunisienne a signé une décision de libération conditionnelle pour l’avocate et chroniqueuse Sonia Dahmani, marquant la fin de sa détention.

Après près d’un an de procédures et plusieurs mois passés derrière les barreaux, l’avocate et chroniqueuse Sonia Dahmani a donc été libérée à la mi-journée, à la faveur d’une décision de remise en liberté conditionnelle signée par Leila Jaffel. Cette annonce met un terme, du moins provisoire, à l’un des dossiers judiciaires les plus sensibles de ces derniers mois, devenu symbole des tensions persistantes autour de la liberté d’expression en Tunisie.

Ce matin, coïncidence ou pas, les députés européens ont condamné « la détention arbitraire de Sonia Dahmani, le harcèlement judiciaire dont elle fait l’objet et sa condamnation, ainsi que les conditions dans lesquelles elle est détenue », appelant à « sa libération immédiate et inconditionnelle, ainsi que de toutes les autres personnes détenues pour les mêmes infractions ».

 

« La libération de ma cliente, Sonia Dahmani, intervient sur la base d’une demande de libération conditionnelle qui a été acceptée par le ministère de la Justice, après qu’elle a purgé l’intégralité de la première peine de huit mois de prison et la moitié de la seconde peine d’un an et demi de prison, ce qui lui ouvre légalement le droit de bénéficier d’une libération conditionnelle », explique l’un de ses avocats.

 

Intense mobilisation de sa famille et de la société civile

Arrêtée en mai 2024 dans les locaux de l’Ordre des avocats, lors d’une intervention policière musclée qui avait suscité un tollé, Sonia Dahmani avait été poursuivie sur la base du décret-loi 54 sur les infractions liées aux communications électroniques. Ses déclarations publiques, jugées critiques envers les autorités, avaient été requalifiées en « diffusion de fausses informations », un chef d’accusation de plus en plus contesté par les défenseurs des droits humains.

Au fil des mois, son dossier a alimenté un débat national et international. Sa fille Nour, sa sœur Ramla avocate au barreau français, mais aussi des associations, collectifs d’avocats et ONG parmi lesquelles Amnesty International et Fédération internationale des droits humains (FIDH) avaient dénoncé un usage détourné de la loi pour faire taire une voix dissidente. Ses conditions de détention avaient également suscité l’inquiétude, ses proches affirmant que son état de santé s’était dégradé et que l’accès aux soins demeurait insuffisant.

Dans cinq affaires distinctes, on lui reproche une déclaration ironiquement sur l’état des prisons tunisiennes (poursuivie par l’administration pénitentiaire), et notamment des déclarations sur le présumé racisme en Tunisie où elle a évoqué une ségrégation dans certains trains du sud du pays. Le 5 juillet 2024, dans un premier procès — pour des propos tenus quelques jours plus tôt à la télévision — elle est condamnée à un an de prison ferme. Après appel, cette peine est réduite à huit mois de prison ferme. Le 24 octobre 2024, dans un second dossier, une nouvelle condamnation tombe : deux ans de prison ferme. Le 24 janvier 2025, à l’issue du procès en appel, la peine dans cette affaire est réduite : la condamnation initiale de deux ans est ramenée à un an et six mois de prison ferme. Dans un autre dossier relatif aux déclarations critiques sur le traitement des migrants en situation irrégulière, un tribunal tunisien condamne de nouveau Sonia Dahmani à deux ans de prison ferme supplémentaires.

La décision de libération, saluée par une partie du barreau et par plusieurs organisations, ne signifie toutefois pas la fin de ses démêlés judiciaires. Les poursuites restent ouvertes et la défense a rappelé que la bataille juridique n’était pas achevée. Pour ses soutiens, cette libération constitue néanmoins un répit attendu dans un climat perçu comme de plus en plus hostile aux professions de la parole publique.

Le cas Dahmani reste emblématique des rapports tendus entre l’État et les acteurs médiatiques ou associatifs depuis l’entrée en vigueur du décret-loi 54. Pour nombre d’observateurs, son arrestation et son procès avaient cristallisé le débat sur les limites de la critique politique et sur les contours du droit à la libre expression dans la Tunisie actuelle.

À sa sortie de prison, l’avocate a déclaré que c’est pour elle « la fin d’un cauchemar ». Sa libération, même conditionnelle, relance un débat national qui dépasse largement son cas personnel : celui de la place accordée aux voix critiques et du rôle que la justice souhaite jouer dans un contexte politique sous tension. Certaines voix de l’opposition incitent à tempérer les réactions quant à une éventuelle détente, accusant le pouvoir judiciaire de vouloir mieux faire passer la pilule du verdict en appel à venir dans l’autre affaire du moment, celle du complot contre la sûreté de l’Etat impliquant de nombreuses figures publiques.