Maroc/Manifestations – Prendre le temps d’écouter, car l’urgence est partout

Manifestation de jeunes dans un quartier commerçant de Rabat, le 29 septembre 2025, pour réclamer des réformes dans les secteurs de la santé publique et de l’éducation. (Photo : Abdel Majid BZIOUAT / AFP)
La discorde a bien pris naissance sur la plateforme numérique Discord, mais comme d’habitude dans ce genre de situations, les appels à manifester pacifiquement dans toutes les villes du Maroc, lancés samedi par ceux qui se font appeler la génération Z (GenZ212), ont vite été récupérés par des hordes de casseurs. Voyous occasionnels, casseurs professionnels téléguidés de l’étranger ou militants opportunistes des principaux courants d’opposition que sont les islamistes de la mouvance Al Adl wal Ihsane ou les radicaux de l’extrême gauche rassemblés dans un minuscule parti au nom d’Annaj Addimocrati ? Pour l’instant, il reste difficile de trancher.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que les heurts avec les forces de l’ordre et les scènes de pillage qui ont marqué plusieurs localités du royaume — Oujda, Inezgane, Zagora, Errachidia —, ces individus cagoulés qui ont lancé des pierres sur les forces de l’ordre avant d’incendier du mobilier urbain, tout cela laisse présager qu’il y a bien une volonté réelle de déstabilisation orchestrée savamment.
Si depuis samedi, des milliers de jeunes manifestent dans plusieurs villes du Maroc à l’appel du collectif GenZ212, le week-end a été marqué par une certaine retenue des deux côtés. Les jeunes, sortis de manière éparse, réclamaient de meilleurs services publics, dénonçaient l’absence d’horizons pour une jeunesse frappée par un taux de chômage élevé, se disaient révoltés contre l’absence de structures hospitalières dignes de ce nom et fustigeaient un enseignement élitiste qui ne conduit nulle part.
Mais qui sont ces jeunes et que veulent-ils vraiment à travers ces appels lancés sur Discord, une plateforme sociale née en 2015 et considérée aujourd’hui comme le principal outil de discussion utilisé par celles et ceux qui sont accros aux jeux vidéo ? L’application, disponible aussi bien sur smartphone que sur ordinateur, est une version bien plus sophistiquée que les groupes Facebook, les boucles Telegram ou celles qui naissent sur WhatsApp. Un serveur Discord est logiquement centré autour d’une communauté spécifique, mais il peut aussi bien servir de plateforme d’échange pour un petit groupe d’amis, des collègues ou des milliers de personnes fans d’un youtubeur ou d’un chanteur.
Il faut d’abord savoir que la génération Z représente les jeunes nés après 1995 (entre la fin des années 1990 et la fin des années 2000) et regroupe aujourd’hui 30 % de la population mondiale, rassemblant aussi bien des adolescents que des jeunes actifs de moins de 25 ans. Dans le royaume, selon le RGPH 2024, la génération Z représente 8,2 millions de jeunes âgés de 15 à 29 ans sur 36,8 millions d’habitants, ce qui correspond à 29,5 % de la population.

Malgré le choix de l’anonymat, les fondateurs du groupe avaient tenu à éviter tout amalgame, précisant agir « par amour de la patrie et du roi » et revendiquant juste « la dignité et les droits légitimes pour chaque citoyen ». Avec ses 120 000 membres (juste 1 000 à son lancement), le collectif se veut le porte-voix d’une génération exaspérée. Son logo — un « Gen Z » en lettres massives traversé d’une étoile rouge, clin d’œil au drapeau marocain — est bien visible désormais sur de nombreuses publications sur les réseaux sociaux.
On comprend bien que derrière les manifestations, il y a aussi un conflit de générations : ces jeunes considèrent les tenants du pouvoir comme dépassés, incapables de vouloir le progrès, de comprendre le présent, d’accepter le nouveau et de faire confiance aux jeunes. De là à ce qu’ils identifient tout pouvoir comme un hymne à l’incapacité, au conservatisme et à l’immobilisme, il n’y a qu’un pas vite franchi.
Aujourd’hui, on ne peut fermer les yeux sur ce bloc générationnel qui redessine le monde, ayant grandi dans un univers connecté, avec une absence d’empathie pour l’autorité traditionnelle et une grande exigence de justice et de respect. On peut regretter que ces jeunes aient un rapport plutôt biaisé au temps (tout doit être disponible immédiatement), leur aversion pour toute forme d’autorité, le rejet total des partis politiques et un rapport au travail plutôt axé sur des aménagements qui donnent plus d’importance au temps libre et aux loisirs. Cependant, cette génération ne demande qu’à se reconnaître dans des figures politiques et intellectuelles capables de l’inspirer, dans une attente évidente d’un leadership politique inspirant.
En réponse à ces manifestations, le gouvernement s’est réuni en urgence pour envoyer un message clair à ces jeunes, leur expliquant que l’exécutif est ouvert au dialogue et leur assure son engagement pour des réformes sociales rapides. Réunie à Rabat, la majorité gouvernementale a ainsi promis d’accélérer les préconisations royales pour une nouvelle génération de politiques publiques inclusives, avec, à la clé, des réformes sociales audacieuses, tout en se disant ouverte à l’écoute et au dialogue avec les jeunes sur leurs revendications.
