Seuil de tolérance

 Seuil de tolérance

Le roi du Maroc Mohammed VI. FADEL SENNA / AFP


Depuis quelque temps et avec une régularité douteuse, les admonestations qui pleuvent sur le royaume, se suivent et se ressemblent. A lire ce qui s’écrit sur le Maroc et les informations qui peuplent les réseaux sociaux, le pays va à la dérive, à voir les classements du royaume, nous sommes partout à la traîne, et les seuls prix que l’on veuille bien nous accorder ce sont des distinctions comme le prix Sakharov, censé blanchir un ex-loubard blanchi en un Che Guevara du Rif.


Une petite musique accompagne cette pluie de mauvais points : des vidéos, des commentaires, voire même des articles dans des publications ayant pignon sur rue en Europe ou en Amérique s’attaquent au roi du Maroc et souvent de manière violente et gratuite. Déjà visé par une offensive en règle de fake news à profusion, le roi s'impose désormais comme une cible de choix. Au hasard, on peut citer un point de départ d’une grosse opération d’intox : un article attribué abusivement au magazine espagnol Holà sur « un prétendu divorce du roi ».


Un article bidon qui a néanmoins servi d'outil de blanchiment visant à accréditer l'imminence de nouvelles révélations visant la vie privée du monarque. Même des publications sérieuses comme lenouvelobs sont tombées dans le panneau pour relayer complaisamment le contenu de ces poubelles du web. Bien sûr, dans une certaine mesure, le fait que des journaux relaient une fausse information et qu’ils n’aient pas accès à la vie privée du monarque est rassurant, ce qui veut dire que si ces pseudo-journalistes étaient bien informés, ils sauraient qu’aujourd’hui, le couple royal n’a jamais été aussi uni et aussi soudé autour de sa petite famille.


Le diable  se nichant dans les petits détails, l’itinéraire de cette campagne diffamatoire est parfaitement  rôdé, ce qui montre qu’il y a des professionnels aguerris qui s’affairent derrière les claviers. Sur n’importe quelle pseudo-information virale, il suffit de remonter la piste en repérant les comptes qui partagent les mêmes contenus pour savoir que les rumeurs numériques ont souvent les mêmes commanditaires.


Dans la foulée, une myriade de faux comptes Twitter créée à l’occasion , probablement par un groupe restreint de personnes, de manière à inonder les réseaux de messages relayant l'intox.


Contre de nouvelles boules puantes à venir, faut-il réagir ?  En communication, le paradoxe réactionnel est tel que si vous réagissez, vous amplifiez et que si vous ne réagissez pas, vous donnez l’impression de cautionner.


Contrairement à ce que croient certains, le roi est un pragmatique, il sait donc sentir les mouvements du monde, s'adapter aux évolutions de la société. S’il parle peu, le souverains ait par contre écouter.


En tout cas, Mohammed VI n’a pas attendu Facebook et Twitter pour trancher sur cette question, il l’a fait en 2011 en prenant le parti d’expurger la Constitution de la notion « de sacralité du roi » qui avait permis dans le passé de faire taire bien des plumes trop hardies. La Constitution promulguée le 29 juillet 2011, a non seulement abandonné la notion de sacralité, mais s’est inspirée des monarchies européennes qui stipulent que « La personne du roi est inviolable et irresponsable » (l’article 88 de la Loi fondamentale belge affirme que « La personne du Roi est inviolable ; ses ministres sont responsables »).


Aujourd’hui il y a quelque chose de scandaleux à voir tous ces internautes à l’esprit critique au ras des pâquerettes servir avec un enthousiasme fébrile de courroies de transmission à de contenus qui ont largement dépassé le stade de la diffamation et qui auraient valu à leur auteur en d’autres cieux, sous d’autres régimes dits démocratiques un ticket assuré pour la prison. A observer ces poubelles du web que sont les réseaux sociaux, je pense à mon humble avis que le seuil de tolérance a été largement dépassé.


Si le phénomène n'a rien d'une première, il ne faut pas se tromper ; l’objectif de ces campagnes est clair : instiller le doute chez les Marocains sur la capacité du régime à dépasser la crise économique et sociale qui frappe le pays. Avec l’espoir que la radicalité de certains ne se transforme en violence politique et que les violences politiques ne débouchent sur ce « fameux printemps arabe » censé faire du royaume, une nouvelle Syrie ou une Libye encore plus traumatisée.


Est-ce à dire que « tout va bien madame la marquise » ? Bien sûr que non, la colère et l’indignation sont partout et souvent pour des raisons valables. Le peuple est une personne disait Michelet. Or cette personne a mal à ses enfants, une grande partie de la jeunesse est au comble du désespoir, avec des horizons bouchés et l’absence de perspectives.


Bien sûr qu’on ne peut faire semblant de ne pas voir la détresse de ces populations en manque d’écoles, de police et de santé, ces inégalités sociales criardes qui créent la souffrance sociale dans ce qu’elle a de plus insupportable.


Bien sûr que la faillite des partis politiques est une réalité. Bien sûr que la vision de représentants du peuple en train de s’écharper pour quelques gâteaux est une image insupportable mais il ne faut pas se tromper d’ennemi; si la confiance entre la population et les élites n’est plus à l’ordre du jour, reste que l’espoir de lendemains meilleurs exige un nouveau regard et une réflexion poussée sur les réalités politiques et sociales actuelles.


En tout cas, comme le disait si bien le grand poète Pablo Neruda, « nos ennemis peuvent couper toutes les fleurs mais ils ne seront jamais maîtres du printemps ».


 

Abdellatif El Azizi