Les belles nuits du Chaâbi

 Les belles nuits du Chaâbi

Crédit photo : Marc-Antoine Serra


MAGAZINE DECEMBRE 2017


Trois soirs de suite, l’Institut du monde arabe se fait caisse de résonance des éclats du chaâbi, avec en tête d’affiche le légendaire Rachid Taha. Mais ce blues, né dans les ruelles de la casbah d’Alger, a-t-il encore de beaux jours devant lui ?


“Les jeunes en France n’écoutent plus de chaâbi… en tout cas consciemment. Ils écoutent parfois des reprises de Rachid Taha en pensant que c’est du raï, seul label pour appréhender les musiques maghrébines en France”, déplore Naïma Yahi, spécialiste de l’histoire culturelle de l’immigration maghrébine en France.


Justement, le cofondateur de Carte de séjour figure en belle place dans le programme chaâbi concocté par l’Institut du monde arabe (IMA) avec un spectacle dédié à l’emblématique Dahmane El Harrachi. Disparu en 1980, ce musicien, qui a fait toute sa carrière dans l’Hexagone, nous a légué le fameux Ya Rayah, un tube que ­Rachid Taha a immortalisé et internationalisé dans les années 1990.


Ce titre culte a été chanté dans plusieurs langues, dont le grec et l’hébreu. Il résonnera, ainsi que d’autres reprises d’anciens succès qui ont façonné la “culture de l’exil” – celle des immigrés de la première génération –, dans l’amphithéâtre de l’IMA.


Car la chanson chaâbi a son “public de mélomanes”, porté par une jeunesse étudiante venue notamment d’Algérie. Mais aussi par “une immigration plus ancienne, laquelle apprécie des artistes comme Abdel­kader Chaou et permet à ce répertoire de se perpétuer”, explique Naïma Yahi.


 


“Sortir du ghetto communautaire”


Cependant, selon l’universitaire, pour élargir cette audience, il faudrait “sortir les musiques arabes du ghetto communautaire ou du label étriqué des musiques du monde (7 % des scènes, ndlr)”. Naïma Yahi souhaite que la France prenne conscience de la part de ce répertoire dans sa mémoire collective, en particulier dans l’effervescence musicale portée par les diasporas maghrébines dès le XXe siècle. “Les 6 millions de Maghrébins de France restent peu considérés dans le champ de la program­mation culturelle, hormis dans les festivals des musiques du monde ou à travers le ­circuit informel des associations implantées dans les quartiers populaires. Ne parlons même pas des passages sur les antennes de radio !” dénonce-t-elle. Même analyse de la part de Rachid Taha : “La chanson arabophone fait encore peur en France”, ­estime le chanteur.


Pour autant, ce répertoire, né au milieu des années 1920 dans la casbah d’Alger, est encore promis à de beaux jours. Pour preuve, l’émergence du néo-chaâbi, dont Kamel Aziz et Youcef Benyghzer, tous deux programmés à l’IMA, sont les dignes représentants. Et l’on a encore en tête le succès du nostalgique film El Gusto, de Safinez Bousbia, en 2011, et la tournée mondiale à guichets fermés de l’orchestre formé pour l’occasion. Ce qui laisse espérer que le chaâbi n’a pas fini de nous enchanter.  

Fadwa Miadi