Musique. Rosalia illumine les femmes saintes

Difficile d’échapper au tsunami médiatique qui accompagne Lux, le nouvel album de la chanteuse espagnole Rosalía. Une tour de Babel où l’espagnol se mêle à l’arabe, l’allemand ou le japonais, portés par des sonorités rock, des élans d’opéra et des éclats de flamenco. Le tout baigné dans un féminisme spirituel.
Dans LUX (lumière), Rosalía fait bien plus que chanter : elle invoque. Treize langues, des chœurs, des cordes, du flamenco et du rock s’y entrelacent pour donner naissance à une œuvre totale, vibrante de spiritualité.
La chanteuse catalane aux racines andalouses signe un disque où se croisent poésie mystique, philosophie soufie et hommage explicite aux femmes saintes. Et au premier rang desquelles on trouve Rabiʿa al-ʿAdawiyya, une figure majeure du VIIIᵉ siècle, dont une citation orne la pochette du disque : « Ninguna mujer pretendió ser Dios » (Aucune femme n’a prétendu être Dieu).
Ce geste replace les femmes mystiques au centre de l’histoire spirituelle et souligne la portée féministe de l’album sorti la semaine dernière.
Le morceau « La Yugular » incarne à lui seul la profondeur de cette quête. Son titre fait référence directe à la sourate 50 du Coran (Sourate Qaf), où Dieu dit : « Nous sommes plus près de lui que sa veine jugulaire. »
Le philosophe espagnol Pablo Pineda souligne que ce verset inspire toute la chanson : l’idée d’un Dieu intime, logé au plus profond de l’homme. La batterie qui ouvre le morceau, imitant les battements du cœur, renforce ce symbolisme.
Rosalía proclame :
« Tú estás tan lejos de mí porque eres mi creador y a la vez tan cerca porque estás dentro de mi corazón. »
Tu es si loin de moi parce que tu es mon créateur, et à la fois si proche parce que tu es dans mon cœur.
Cette tension entre distance et proximité exprime la conception soufie de l’immanence : le divin est à la fois au-delà et en nous.
Dans la dernière partie de La Yugular, Rosalía passe à l’arabe.
« من أجلك أدمر السماء، من أجلك أهدم الجحيم، فلا وعود ولا وعيد »
Pour toi, je détruirais les cieux, pour toi, je démolirais l’enfer, sans promesses, sans menaces.
Cette déclaration traduit l’amour mystique total, libéré de toute peur ou récompense, au cœur de la doctrine de Rabiʿa al-ʿAdawiyya. La sainte du VIIIᵉ siècle prêchait en effet qu’il faut aimer Dieu non par crainte de l’enfer ni par espoir du paradis mais par pur amour.
La chanteuse explore également la notion d’unité cosmique :
« Yo quepo en el mundo y el mundo cabe en mí / Yo ocupo el mundo y el mundo me ocupa a mí… »
Je tiens dans le monde et le monde tient en moi / J’occupe le monde et le monde m’occupe…
« Ces vers traduisent une vision où tout être contient le monde et où chaque souffle participe du divin. L’univers devient miroir de l’âme, comme dans la poésie mystique », rappelle Pablo Pineda.
Avec Lux, Rosalía signe une expérience rare. Celle d’un féminisme spirituel où les femmes, d’hier et d’aujourd’hui, retrouvent leur voix et leur place dans le sacré.
