Rencontres. Apaiser le sacré

Faouzi Skali, professeur et administrateur de la Chaire « Géopolitique des Cultures et des Religions », à l’Académie du Royaume du Maroc à Rabat. FADEL SENNA / AFP
Rendre accessible l’interprétation des textes sacrés et ouvrir, par la même occasion, un débat riche et incontournable sur la place du sacré dans les tensions contemporaines et sur la manière de taire les haines séculaires : tel est l’objet du colloque « Lire et interpréter le sacré : vers une géopolitique de l’exégèse », qui donne le coup d’envoi des travaux de la Chaire « Géopolitique des Cultures et des Religions », lancée par l’Académie du Royaume du Maroc à Rabat.
Le retour du religieux dans un monde fracturé
Nietzsche, qui prophétisait la « mort de Dieu », s’est fourvoyé magistralement. Marx, qui pensait que « la religion était l’opium des peuples », n’avait pas tellement tort, mais c’est la sentence d’André Malraux — « Le XXIᵉ siècle sera religieux ou ne sera pas » — qui semble avoir vu juste, eu égard aux extrémismes religieux qui secouent aujourd’hui la planète et empêchent une lecture apaisée de la spiritualité.
Un colloque international pour penser le sacré autrement
Censés trouver des réponses appropriées à ce débat quelque peu dramatique, philosophes et spécialistes des religions se sont ainsi donné rendez-vous les 17, 18 et 19 décembre 2025 pour débattre sans filtres du sujet.
Une palette de spécialistes tels qu’André Azoulay, conseiller royal, Najib George Awad, professeur de théologie chrétienne, Michael Barry, historien et islamologue, Soulaymane Bachir Diagne, historien des sciences et de la philosophie islamique à l’Université Columbia, Roland Dubertrand, ambassadeur, ou encore Avraham Elarar, président de la Fédération sépharade du Canada, se relayeront pour intervenir à ce colloque international à l’intitulé sans équivoque : « Lire et interpréter le sacré : vers une géopolitique de l’exégèse ».
L’exégèse comme outil de dialogue et de pacification
Inscrit dans les travaux de la Chaire « Géopolitique des Cultures et des Religions », ce cycle de rencontres a pour ambition d’ouvrir un débat essentiel sur la place du sacré dans les conflits contemporains et sur la manière dont les sciences de l’interprétation peuvent œuvrer à renverser les conceptions spirituelles de la haine de l’autre en dialogues et convergences de valeurs.
Dans cette configuration, une place centrale sera consacrée aux lectures spirituelles des textes en tant que vecteurs de dialogue, de pacification et de dépassement des clivages dogmatiques. Sachant que l’explication du texte sacré, lorsqu’elle est orientée vers la paix et la réconciliation, constitue un lien fort entre les traditions, une source de résilience et un fondement pour une diplomatie spirituelle.
Cet espace de réflexion et d’échange, qui articule rigueur académique et ouverture au dialogue interculturel, est conçu de manière à contribuer à une compréhension plus fine des textes fondateurs, de leurs interprétations historiques et contemporaines, et de leurs usages dans les dynamiques de spiritualité, de pouvoir et de paix.
Les religions face aux angoisses contemporaines
La quête spirituelle est ancrée au plus profond de tout être humain : la recherche de sens, de l’humanité, de l’être-ensemble. Seules les grandes religions, apaisées et largement œcuméniques, en retenant les valeurs d’honnêteté, de justice et de solidarité dont elles sont porteuses, peuvent s’opposer à l’injustice ambiante, aux inégalités scandaleuses, à l’immoralisme et à l’impiété.
Les grandes religions monothéistes — judaïsme, christianisme, islam — proposent, avec leur expérience millénaire, de formidables réponses à chaque individu pour faire face aux angoisses fondamentales devant la peur, la souffrance et la mort. Elles pérennisent le vrai, le beau, le bien et le juste, et mettent ainsi à la disposition de qui le veut une grille de lecture efficace pour interpréter le monde.
Repenser les textes sacrés à l’heure des bouleversements géopolitiques
Pour le professeur et administrateur de la Chaire « Géopolitique des Cultures et des Religions », Faouzi Skali :
« Aujourd’hui, face aux profonds bouleversements religieux, culturels et géopolitiques que connaît le monde, il est indispensable de revoir l’interprétation des textes sacrés et de leur traduction, dont l’influence s’étend aux équilibres géopolitiques, soumis aux dynamiques d’influence et participant même à la construction des identités collectives. C’est dans cette perspective qu’ont été invitées à s’exprimer, chacune selon sa spécialité, des personnalités de renom ayant marqué le dialogue interreligieux, l’examen croisé des traditions grâce à une approche multidisciplinaire. Ce qui explique le découpage en trois journées de travail consacrées aux trois grandes traditions monothéistes : islamique, juive et chrétienne. »
Clarifier le religieux pour conjurer le vertige identitaire
Ce n’est pas le combat contre le sacré qui sauvera le monde, mais plutôt une clarification de la place du religieux dans l’espace public, doublée de la nécessité d’un dialogue interreligieux pour faire face au vertige identitaire qui est tapi derrière les bouleversements des rapports géopolitiques dans l’ordre mondial, ou plus précisément dans le désordre mondial.
