Zishan Butt : « On fait de l’urgence humanitaire à 10 kms de Paris »

 Zishan Butt : « On fait de l’urgence humanitaire à 10 kms de Paris »

Archives personnelles de Zishan Butt


Médecin généraliste et urgentiste à Bondy au sein d’Urgences 93, le Dr Zishan Butt effectue notamment les permanences de soins entre 20h et minuit et les week-ends en banlieue. Auteur d’une thèse sur le désert médical en banlieue, son constat est sans appel : l’accès aux soins en Seine Saint-Denis est indigne de la République. Manque de médecins, insécurité et  danger sanitaire pèsent sur l’un des départements les plus peuplés de France (6292 habitants/Km2).


Quand on parle de désert médical, on pense à la campagne. Mais cette carence est très importante également en banlieue. Quelle est la situation ?


Le 1er désert médical en termes de population, c’est l’Ile-de-France et on va vers un désert médical de plus en plus aride. Pour Pierrefitte en Seine Saint-Denis, vous avez un médecin pour 30 000 habitants alors qu’il faudrait normalement 1 généraliste pour 10 000 habitants. Il y a 80 jours d’attente pour un spécialiste et 10 jours pour un généraliste. Notre activité d’urgentiste explose depuis 30 ans car il n’y a pas de renouvellement de médecins. Avant, le médecin de famille pouvait se déplacer. Aujourd’hui, ils ne peuvent plus. Les salles d’attente sont blindées et ils sont même obligés de fermer la porte sur des patients. Les plus touchés sont les généralistes mais aussi les spécialistes (gynécologues, ophtalmologues, etc..). Il n’y a même pas d’orthopédistes en médecine libérale dans le 93. Hier, je suis allé voir un patient de 88 ans, qui ne pouvait pas se déplacer et était atteint d’un AVC. Il n’avait pas eu son traitement depuis 3 mois car il n’y a pas de médecin traitant dans sa ville. Du coup, tout le monde va à l’hôpital public qui est débordé. J’ai pratiqué la médecine humanitaire et actuellement, on fait de l’urgence humanitaire à 10 kilomètres de Paris.


Quelles sont les raisons de ce désert médical en banlieue ?


Avec 2 collègues, on a été  les premiers à s’installer en 2016 à Bondy. C’était la première installation depuis une dizaine d’années dans le 93. La médecine libérale n’attire plus. Le coût pour l’installation est de plus en plus élevé alors que la consultation médicale a augmenté de 3 euros en 30 ans. Il y a aussi un sentiment réel d’insécurité. Une collègue à Pierrefitte a claqué la porte après 5 ou 6 agressions. A Pierrefitte et Stains, vous avez un véhicule de police à partir de 20h pour deux villes avec une quinzaine de cités. Il peut nous arriver de rencontrer des patients violents ou en situation de détresse psychiatrique. Il m’arrive d’attendre deux heures pour intervenir.


Que fait l’Etat pour rompre cette difficulté de l’accès aux soins ?


Il faut une nouvelle vision de la santé publique avec un investissement massif de l’Etat. Il existe une incitation (crédit d’impôt) mais elle est insuffisante. Il faut créer des structures pluridisciplinaires, avec une mutualisation des coûts et un vrai virage ambulatoire. L’Etat est très loin du compte par rapport au manque sur place car on a des retards d’investissement depuis des dizaines d’années.


Voir aussi : 


Dr Butt : "Il y a plus de morts qu'annoncés en Seine-Saint-Denis"


M. Merfouche : "Je n'aurais jamais pensé mettre en bâche des corps"

Yassir Guelzim

Yassir GUELZIM

Journaliste Print et web au Courrier de l'Atlas depuis 2017. Réalisateur de documentaires pour France 5.