Abdelatif Benazzi : “Un poste d’entraîneur me conviendrait bien aujourd’hui”

 Abdelatif Benazzi : “Un poste d’entraîneur me conviendrait bien aujourd’hui”

Crédit photo : Pascal Guyot/AFP


Cet enfant d’Oujda a été l’un des meilleurs deuxième (ou troisième) ligne centre de l’équipe de France de rugby. En 2003, il raccroche les crampons après quinze ans de bons et loyaux services et 78 sélections. Engagé dans l’humanitaire, passionné de chasse, il mène une retraite active et intense, mais son cœur vibre toujours pour le ballon ovale.


Comment passe-t-on du petit stade d’Oujda aux plus grandes arènes du monde ?


J’aime le sport depuis toujours. Gamin, j’ai fait du football, de l’athlétisme, puis du rugby que j’ai découvert au collège aux côtés d’Ahmed Souilmi, mon professeur d’éducation physique de l’époque. Puis, j’ai eu la chance, adolescent, alors que j’habitais ma ville natale d’Oujda, dans le nord du Maroc, d’être repéré par Reinhard Janik, un éducateur sportif visionnaire d’origine allemande. Grâce à lui, j’ai été, sélectionné en équipe junior marocaine, en 1985. En tournée en Europe, j’ai alors été remarqué par différents clubs français. Et puis les choses se sont enchaînées assez rapidement.


 


Quel est le souvenir le plus marquant de votre carrière ?


J’en ai de nombreux, mais celui qui a marqué le grand public est, sans aucun doute, mon essai lors de la demi-finale de la Coupe du monde 1995 contre les fameux Springboks sud-africains. Je me suis vu refuser l’essai de la victoire à 2 minutes du coup de sifflet final. Il n’est pas question pour moi ici de rouvrir la polémique qui a fait couler beaucoup d’encre, pas plus que de revenir sur une décision d’arbitrage. Tout ce que je peux vous dire c’est que nous étions en plein apartheid et que la victoire de l’Afrique du Sud a changé la face du pays. Ces quelques secondes de ma carrière restent gravées à tout jamais dans ma mémoire pour des raisons qui dépassent de beaucoup la raison sportive. Nelson Mandela en personne m’a écrit peu de temps après pour me faire part de son analyse de cet instant qui a, de toute évidence, quelque part rapproché son peuple et cela reste pour moi une grande victoire humaine.


 


Vous avez alors définitivement quitté le milieu rugbystique ?


Pas du tout. Si j’ai quitté le devant de la scène, j’ai toujours gardé un œil sur le milieu. Le rugby fait partie de ma vie. Entre fin mars 2015 et fin 2016, j’ai fait un retour au premier plan en acceptant de devenir le manager général du Montpellier Hérault rugby. Ceux qui m’ont suivi savent que je n’ai pas trop mal réussi dans la mission qui m’avait été confiée. Un poste d’entraîneur me conviendrait bien aujourd’hui.


 


Vous partagez aujourd’hui votre temps entre la France et le Maroc…


C’est exact. Une part de mes activités professionnelles est en France. J’y réside donc avec mon épouse et mon fils. Mais dès que le temps m’est donné, je prends un vol pour Oujda et je retourne m’immerger dans le pays qui m’a vu naître. Je retrouve ma famille, mes amis, mes activités sportives et culturelles. J’œuvre au sein de Noor mon association humanitaire. Le Maroc et la France ont l’avantage d’être proches. Il est donc possible de faire de multiples allers-retours.


 


Parlez-nous de Noor…


J’ai fondé l’association humanitaire Noor – qui veut dire lumière en arabe – en 2003. Mon but était, et est toujours, de rénover, construire et équiper des écoles à l’attention des résidents des secteurs ruraux les plus isolés où la scolarité, bien qu’obligatoire au Maroc, n’est pas toujours facile d’accès. Depuis la naissance de Noor, sept établissements ont vu le jour. Je souhaite par ailleurs faire entrer le sport et ses valeurs à l’école. J’ai créé Noor pour que chaque enfant puisse avoir une chance d’éclairer son destin et de réaliser ses rêves…


 


D’où proviennent les fonds de fonctionnement de Noor ?


J’ai la chance d’être bien épaulé dans ma démarche par de grands mécènes tant européens que marocains. Une large partie des fonds de l’association est récoltée lors d’un tournoi de golf Pro-Am baptisé l’Oriental Legends, que j’organise dans la station balnéaire de Saïdia. Ce grand rendez-vous rassemble des golfeurs professionnels et amateurs (dont de multiples mécènes), et des personnalités du monde du sport, de la télévision, du journalisme et du spectacle. Tous viennent bénévolement pour soutenir Noor. Nous formons une grande famille.


 


La chasse est l’une de vos passions…


Un écrit traditionnel religieux dit que les enfants doivent, dès que possible, savoir nager, monter à cheval et chasser. Ces trois choses sont essentielles. Mes aînés m’ont donc inculqué ces notions alors que je n’étais qu’un gamin. Avant même de pouvoir aller sur le terrain, j’attendais avec la plus grande impatience les retours de chasse de mon père pour inspecter son carnier. Le gibier est très apprécié au Maroc. Puis vint le temps de mes premières escapades sur le vaste territoire de la ferme de mon grand-père paternel. C’est là, en compagnie de mes frères, que j’ai fait mes premières armes sur les petits oiseaux. Quelle époque merveilleuse ! Jusqu’au jour où j’ai pu enfin suivre mon père et ses amis en montagne. J’ai découvert là les fabuleuses séances de crapahut derrière les véloces perdrix gambra et, dans une moindre mesure, les lièvres.


 


Vous chassez aujourd’hui à travers le monde…


J’ai la chance de voyager beaucoup et, parfois, au cours de mes déplacements, l’occasion m’est donnée de goûter aux activités cynégétiques des pays dans lesquels je me trouve. C’est ainsi que j’ai pu chasser en Ecosse, en Afrique du Sud, au Canada, au Cameroun, au Burkina Faso, par exemple. Ces expériences sont aussi pour moi un moyen extraordinaire de me rapprocher des populations locales pour échanger et m’imprégner des cultures. La chasse est prétexte à de très belles rencontres. Je suis un chasseur équitable et responsable. Je respecte les lois, les règlements ou les consignes des directeurs de chasse. Je ne suis pas un tireur à tout prix. La chasse est pour moi une façon de me rapprocher de la nature et des traditions.


 


Ceux qui vous connaissent bien disent que vous êtes un homme de cœur.


Ce n’est pas à moi d’en juger, mais j’aime mon prochain, c’est certain. Je ne supporte pas la misère, ni l’injustice. Je me bats au quotidien contre ces fléaux. 


 


Une carrière exceptionnelle


Abdelatif Benazzi a commencé sa carrière professionnelle en 1988 au Cahors rugby avant de rejoindre le SU Agen en 1989. En 2001, il s’exile en Angleterre, à Saracens, où il reste jusqu’en 2003. Entre 1990 et 1999, il cumule deux sélections en équipe nationale du Maroc et 78 sélections en équipe de France. Il portera même le brassard de capitaine de l’Equipe de France dès 1996. Avec le XV de France, il a disputé trois Coupes du monde, dont une finale en 1999. Il a participé à huit tournois des Cinq (puis Six) Nations en remportant les éditions de 1993 et de 1997 (Grand Chelem). Il fait également partie de l’équipe de France vainqueure de la Coupe latine en 1997.


 


MAGAZINE SEPTEMBRE 2017

Philippe Aillery