Gymnastique : Grand écart entre les deux rives

 Gymnastique : Grand écart entre les deux rives

crédit photo : Caia Image/Science Photo Library/AFP


Ils s’entraînent en France, mais ne sont pas jugés assez performants pour représenter l’Hexagone. Aussi, dans l’espoir de participer à des compétitions mondiales, de nombreux gymnastes d’origine maghrébine décident d’aller défendre les couleurs du pays de leurs parents. Parfois à leurs dépens. 


Basma commence la gymnastique rythmique et sportive (GRS) en CM2, au club de Thiais (Val-de-Marne). Elle a 11 ans et rêve de devenir une grande championne. Chaque jour, elle travaille dur pour atteindre ses objectifs et, progressivement, ses efforts commencent à payer. En 2012, dès 12 ans, elle fait son entrée au pôle espoir d’Evry (Essonne) et figure parmi les meilleures du pays. La question de son intégration en équipe de France se pose alors, et son nom figure parmi la dizaine en lice.


Mais, au bout de quelques semaines, Géraldine Miche, directrice technique de la fédération, lui annonce qu’elle n’a pas le niveau pour représenter l’Hexagone aux Jeux olympiques juniors, qui se déroulent en Chine en 2014. Pour avoir une chance d’y participer malgré tout, elle lui conseille d’aller défendre les couleurs du pays d’origine de ses parents : le Maroc. Basma décide, avec sa famille, de tenter sa chance et prend fièrement la nationalité marocaine. A l’international, elle porte le nom de sa mère, comme une sorte de dédoublement de son image.


 


Un échange pas toujours gagnant-gagnant


“Sur la douzaine d’athlètes sélectionnés pour l’équipe de France, seuls les cinq ou six meilleurs participent aux compétitions, ­explique Jacques Rey, qui a dirigé la Fédération française de gymnastique (FFGym) durant une vingtaine d’années, notamment lorsque ­Basma a été recalée. Il est arrivé que l’on conseille à des athlètes dont les parents ont des origines étrangères de représenter ce pays d’origine, afin de permettre à leurs enfants d’accéder aux Jeux olympiques : le Graal des gymnastes. Ce n’est pas si courant, mais c’est une opportunité pour eux de vivre quelque chose d’extraordinaire.”


Une opportunité aussi pour l’équipe nationale qu’ils vont représenter de briller lors des compétitions et de voir leurs résultats augmenter presque artificiellement. Puisque les athlètes qui ont grandi en France ont bénéficié d’une formation solide et d’infrastructures dernier cri. Aussi, ces derniers arrivent-ils avec un niveau supérieur à ce que peut espérer un championnat ­national, dont les moyens financiers sont moins importants.


Plus expérimentés, donc, ces gymnastes deviennent souvent les têtes d’affiche des pays du Maghreb. A l’image de Farah Boufadene, née française, sortie du pôle espoir de Saint-Etienne, qui a pris la nationalité algérienne pour concourir. Elle a rapporté deux médailles d’or et deux de bronze aux Jeux africains de 2015, avant de se classer 49e du championnat du monde de gymnastique ­artistique, la même année, et de devenir la première gymnaste ­algérienne à se qualifier pour les Jeux olympiques.


Représentants maghrébins au niveau international, les athlètes binationaux peuvent toujours, à l’échelon national, concourir au sein du championnat français. “J’ai quand même imposé une règle éthique, se souvient Jacques Rey. Un étranger ne peut pas avoir un titre de champion de France, même s’il finit premier : tout dépend en fait de la nationalité que vous décidez d’inscrire sur votre licence FFGym.” Or, le gymnaste binational a le choix.


On pourrait alors croire que cet échange est systématiquement gagnant-gagnant, mais ce n’est pas le cas. Gérer l’entre-deux, n’être ni vraiment reconnu là-bas, ni vraiment ici, se retrouver dans une organisation différente de celle qu’on connaît et qu’on espère, pose parfois des problèmes et crée de grandes déceptions.


 


Un manque de reconnaissance


Latifa, la maman de Basma, en est encore toute retournée. Certes, sa fille a participé aux Jeux olympiques de Chine, puis aux championnats arabes au Qatar, où elle a décroché quatre médailles en 2014, avant de se classer troisième de la Coupe d’Afrique et parmi les meilleurs du continent aux championnats du monde de Stuttgart de 2015. Malgré ces excellentes performances, la jeune gymnaste n’a jamais été vraiment ­reconnue au ­Maroc. Elle a même été victime de brimades si l’on en croit sa famille.


“Ma fille n’a non seulement pas été conviée à la fête du Trône pour la photo avec la sélection marocaine, se plaint Latifa. Mais, en plus, la fédération ne nous a pas remboursé les costumes, ni même transmis les primes pour les médailles que Basma a rap­portées au pays.” Ni une, ni deux, Latifa – soutenue par l’élu aux sports de sa ­commune de banlieue parisienne – écrit directement au roi Mohammed VI. Très vite, la direction de la fédération est renouvelée et Latifa obtient gain de cause.


Beaucoup y voient les conséquences de son courrier. “Je pense qu’elle a sauvé la gymnastique marocaine de pratiques douteuses, avoue un athlète de haut niveau, sous couvert d’anonymat. Mais il faut qu’elle arrête de se plaindre : moi, je n’ai jamais eu autant d’argent que ce qu’elle a réussi à obtenir. Pour ceux qui ont grandi au Maroc, la culture est différente de celle de la France : nos clubs sont pauvres, on s’entraîne sur du matériel des années 1970. Elle ­devrait être contente que sa fille ait pu faire les JO dès le début de sa carrière. Des dizaines d’athlètes ne participent jamais à des compétitions aussi prestigieuses. Il faut parfois, en retour, accepter ­certaines contraintes.”


Des contraintes difficiles à avaler pour Latifa, qui accuse la ­fédération française d’avoir dévalorisé sa fille en lui conseillant de concourir sous les couleurs marocaines. “Je n’ai jamais eu de ­retour d’expérience négatif d’athlètes au Maghreb”, se défend Jacques Rey, qui entretenait de bonnes relations avec l’ancien ­dirigeant marocain. Aujourd’hui, Abdessadek Bitari, nouveau président de la Fédération royale marocaine de gymnastique, dit ne pas avoir de contact avec la FFGym. Ce dernier esquive par ailleurs les questions concernant l’éviction de son prédécesseur.


Basma, quant à elle, désormais âgée de 18 ans, ne s’entraîne plus. Elle a abandonné la gymnastique avec le sentiment d’avoir été utilisée et rejetée, victime de la cruauté du sport de haut ­niveau, couplée à celle des représentations nationales à laquelle elle n’était manifestement pas préparée. 

Nadia Sweeny