Stéphane Mercurio refuse la distinction des Arts et des Lettres : « Je choisis de rester du côté de ceux qu’on n’honore jamais »

Stéphane Mercurio – Photo : Capucine de Chabaneix / Stéphane Mercurio / Facebook
Ce n’est pas tous les jours qu’une cinéaste dit non à une décoration. Mais quand Stéphane Mercurio refuse d’être faite Chevalière des Arts et des Lettres, elle ne le fait pas à demi-mot. Pas pour une posture. Pour une fidélité. À son parcours, à ses convictions. Et surtout à celles et ceux qu’elle filme depuis plus de vingt ans.
Dans une lettre datée du 10 juillet dernier et adressée à la ministre de la Culture, que l’on pourrait encadrer dans les écoles de journalisme comme un modèle de franchise politique, Mercurio décline l’honneur en des termes clairs et sans détour :
« Dans un pays où l’on traque les migrants, où l’on criminalise les militants pro-palestiniens et écologistes pour mieux museler les idées qui dérangent, où les prisons peuplés surtout de pauvres et de désespérés débordent, où les services publics sont asphyxiés, où les budgets de la culture fondent comme neige au soleil, Dans ce pays-là, il n’y a pas d’honneur à recevoir — il y a des combats à mener. »
Une cinéaste des marges
Stéphane Mercurio, 62 ans, documentariste engagée, n’a jamais cherché à plaire aux puissants. Ni aux critiques. Elle a préféré poser sa caméra dans les couloirs des prisons, chez les familles d’expulsés, dans les files d’attente de l’administration ou dans les cuisines de celles et ceux que la République ne décore jamais. Son cinéma est celui de la parole donnée à l’invisible, du réel brut, de la tendresse sans misérabilisme.
Son film À côté (2008), sur les familles de détenus en attente de parloir, avait bouleversé la critique. D’autres documentaires ont suivi, comme Après l’ombre, qui donne la parole à d’anciens détenus longue peine. Son travail ? Une chronique sensible et politique de la France des oubliés.
Une lignée de réfractaires
Alors quand on apprend qu’elle est la fille de Maurice et Catherine Siné, on se dit que ça coule de source. Maurice Siné, plus connu sous le nom de Siné, dessinateur de presse au trait ravageur, anticolonialiste, anticlérical, iconoclaste jusqu’au bout du crayon.
En 2008, après un différend éditorial, il est licencié de Charlie Hebdo. Plutôt que de se taire, il fonde Siné Hebdo, qui deviendra ensuite Siné Mensuel : un journal satirique, libre, furieusement indépendant. Il avait élevé la liberté de ton au rang d’art… et refusé lui aussi la Légion d’honneur en 1985, fidèle à ses principes.
À sa mort, Catherine Siné, sa compagne et fidèle collaboratrice, reprend la direction de la publication. Elle tiendra la barre du mensuel jusqu’en mars 2025, date annoncée de la fin de parution. Une dernière salve pour un journal qui aura résisté autant qu’il aura dérangé. Stéphane Mercurio, c’est leur héritière. La désobéissance dans le sang. L’indépendance en bandoulière.
La médaille, non merci
La distinction des Arts et des Lettres, censée honorer les artistes et intellectuels ayant « contribué au rayonnement culturel de la France », elle la refuse, poliment mais fermement. Et ce n’est pas un coup d’éclat. C’est une cohérence.
« Je choisis de rester du côté de ceux qu’on n’honore jamais. La création n’a pas besoin de médailles. Elle a besoin de justice, de liberté », écrit-elle.
Ce geste, rare, sonne comme un rappel salutaire : on peut créer sans valider le système. On peut filmer le monde sans vouloir les honneurs de ceux qui le détruisent. On peut être du bon côté de la caméra et de l’histoire.
Un refus comme un engagement
Stéphane Mercurio n’est pas la première à refuser une médaille. Mais à l’heure où le monde culturel est de plus en plus sommé de choisir son camp, entre subventions fragiles, censures feutrées et injonctions à la neutralité, son refus résonne puissamment. Elle nous rappelle que la création, la vraie, ne se porte pas autour du cou. Elle se tient debout, sans uniforme, aux côtés des damnés de la terre.

