Trois questions à Haouès Seniguer – « Frères musulmans, islamisme, charia se sont transformés en mots‑hochets, agités comme des chiffons rouges »

Bourget-du-Lac, le 03/01/2023 – Haoues SENIGUER, Maître de conférences en science politique à Sciences Po Lyon et Chercheur au laboratoire Triangle (ENS/CNRS), UMR 5206, Lyon. Photo LUCIEN FORTUNATI
Professeur des universités à l’Université Paul-Valéry de Montpellier et chercheur associé au laboratoire Triangle, ce politiste et historien analyse comment les sondages sur les musulmans alimentent une “politique du soupçon”. Il est notamment l’auteur de Comment Israéliens et Palestiniens en appellent à Dieu depuis le 7 octobre ?.
1/ Ces sondages renforcent le soupçon envers les musulmans et les présentent comme un « problème ». Concrètement, quel effet ont-ils sur le vivre-ensemble en France, et quel danger politique représentent-ils à l’approche des élections ?
Sans juger ni préjuger des intentions ultimes des sondeurs, qui répondent objectivement à une commande elle-même, me semble-t-il, tout à fait intéressée (celle d’Écran de veille, ndlr), ce type de sondage contribue nolens volens à alimenter une mécanique, une logique ou une politique du soupçon à l’égard des musulmans, notamment observants.
Mais cette politique du soupçon percute et touche non seulement lesdits musulmans pratiquants, mais tout musulman visible ou attaché, ne serait-ce qu’un tant soit peu, à une culture musulmane héritée.
Il apparaît en outre certain que les résultats de ce sondage, en particulier ceux liés aux items les plus sensibles, seront immanquablement investis ou réinvestis par des formations politiques de droite et d’extrême droite, au grand dam des musulmans ou de toute personne pour laquelle les préjugés racistes, et plus encore les discriminations anti-musulmanes ou islamophobes, risquent de miner les interactions sociales pacifiées entre les uns et les autres.
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2/ Malgré une méthode correcte, le dernier sondage repose sur un a priori qui met en doute le loyalisme des musulmans. Comment un sondage peut-il être « méthodologiquement solide » tout en produisant une lecture biaisée, simplement par son cadrage ?
J’ai personnellement toujours abordé les sondages avec distance et circonspection, sans pour autant remettre radicalement en cause leur utilité dans certaines circonstances.
Je suis en revanche gêné par deux éléments dans le cas d’espèce : un effet de récurrence à propos de l’islam et des musulmans (un sondage de plus !) et des questions intégrant une terminologie insuffisamment explicitée, laquelle, à mon sens, n’est peut-être même pas claire pour les sondeurs eux-mêmes.
Frères musulmans, islamisme, charia se sont transformés en mots-hochets, agités comme des chiffons rouges, sans que soit pris en compte le niveau de connaissance de ceux auxquels on s’adresse.
Vous remarquerez aussi que certains s’intéresseront davantage à des items plutôt qu’à d’autres : pourquoi, par exemple, ne pas insister sur le fait que 73 % des musulmans estiment qu’un musulman a « le droit à l’apostasie », c’est-à-dire à quitter l’islam !? Il est très important, pour ne pas se laisser submerger ou impressionner par les chiffres proposés, d’être extrêmement précis quant à l’interprétation qui en sera faite.
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3/ Vous évoquez un « rouleau compresseur » qui provoque sidération puis lassitude chez les musulmans. Comment la répétition de ces sondages, amplifiée par des médias peu nuancés, influence-t-elle à long terme le tissu social et la participation citoyenne des musulmans en France ?
Je peux objectiver la lassitude et la consternation, indéniables, mais je ne saurai cependant répondre sur leur traduction politique et sociale à moyen ou plus long terme.
Il me semble essentiel et plus significatif, plus encore dans le contexte actuel, de s’intéresser à ce que peut être un bon citoyen, autrement dit quelqu’un qui, indépendamment de ses attaches culturelles ou religieuses, respectera scrupuleusement la loi commune et fera preuve de civilité.
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