Tunis retient son souffle avant la mobilisation pro pouvoir du 17 décembre

Tunis — À 48 heures du 17 décembre, date retenue par la présidence de la République pour commémorer la révolution à son déclenchement et non plus à sa « confiscation », les réseaux de soutien au président Kaïs Saïed peaufinent une grande mobilisation annoncée au centre de Tunis.

Deux mots d’ordres et autant de slogans clés : les appels à converger « pour défendre la souveraineté » et « répondre aux ingérences étrangères » se sont multipliés ces derniers jours sur les canaux pro-gouvernementaux, tandis que des bus affrétés sont annoncés depuis plusieurs gouvernorats de l’intérieur du pays. L’opposition qui peine à mobiliser plus de quelques centaines de personnes à ses rassemblements depuis trois samedis consécutifs dénonce « une utilisation frauduleuse des moyens de l’Etat à des fins politiciennes », allant jusqu’à comparer cela aux « défilés fascistes anti syndicalistes » d’intimidation par l’attrition.
Sur le terrain, plusieurs sources parlent d’une logistique rodée : prises de contact avec des compagnies de transport locales, coordination des points de départ dans les villes moyennes et consignes pour des départs groupés dès l’aube pour être à l’heure à midi aux abords du Théâtre municipal.
Des trajets nocturnes sont aussi évoqués afin d’assurer l’arrivée simultanée des participants au centre-ville de la capitale et aux artères environnantes de l’Avenue Bourguiba. Les organisateurs promettent des prises en charge « gratuites » des frais de déplacement pour les manifestants venus de l’intérieur, parfois en échange d’un enregistrement préalable via des listes partagées sur des groupes fermés.
Vers une démonstration de force
Interrogés sur ces dispositifs, des habitants de régions intérieures ont fait part d’un mélange de résignation et de curiosité : « On nous a dit de venir dimanche, le car passe chez moi à 5h00 », confie un homme d’un gouvernorat intérieur, sous couvert d’anonymat. D’autres regrettent la pression sociale : « On sent que c’est organisé, on n’ose pas refuser quand le responsable local appelle », résume une commerçante.
Si ces témoignages, recoupés par des médias locaux, reflètent certes une part d’opacité et la verticalité de la mobilisation, cela ne doit pas induire en erreur quant à la popularité bien réelle, encore largement intacte, du président Saïed, dans les zones rurales comme urbaines, où le ras-le-bol suscité par la classe politique post révolution dans le pays a créé les conditions d’un « moment césariste » savamment capté par la doctrine mi-souverainiste mi-populiste de Kais Saïed.
Litige mémoriel
La symbolique du 17 décembre n’est évidemment pas neutre. En décembre 2021, le président Saïed avait en effet décidé de déplacer la commémoration officielle de la révolution du 14 janvier — date de la chute de Ben Ali en 2011 — au 17 décembre, jour du déclenchement à Sidi Bouzid par l’immolation de Mohamed Bouazizi. « Le 17 décembre est le jour de la célébration de la révolution », déclarait alors le chef de l’État, en le décrétant jour férié et en dénonçant une « usurpation » de la mémoire révolutionnaire. Ce choix traduit une volonté de recentrer le récit national sur l’élan populaire initial plutôt que sur la phase politique qui a suivi, dominée par des élites.
Mais le changement de date alimente aussi la controverse : pour les opposants et une partie de la société civile, déplacer l’anniversaire revient à réécrire l’histoire et à instrumentaliser la mémoire révolutionnaire au profit d’un récit politique différent. Les commémorations du 14 janvier avaient pour beaucoup une portée de bilan et de revendication ; le 17 décembre, quant à lui, met l’accent sur la rupture originelle et la figure du « soulèvement populaire » inachevé. Ces lectures divergentes éclairent les enjeux politiques du rassemblement prévu ce mercredi.
À la veille du jour censé consacrer un processus politico-judiciaire dur envers des dizaines d’opposants politiques emprisonnés, mais approuvé par une grande partie vindicative de la population, la capitale reste divisée : des manifestants pro-Saïed préparent une démonstration de force tandis que la société civile et l’opposition appellent à des commémorations distinctes et à la vigilance face à toute émeute poussant à la discorde et à l’affrontement. La question reste ouverte : la journée du 17 décembre sera-t-elle un moment d’unité nationale ou un nouvel épisode conflictuel symbolique entre deux narratifs de la révolution ? La réponse se jouera dans la rue.
