Tunisie. Faut-il se réjouir de la réforme du Code du travail ?

En marge d’une réunion du Conseil des ministres tenue jeudi au Palais de Carthage, le président de la République, Kais Saïed, a profité de cette tribune pour dire sa satisfaction de la réforme du Code du travail en des termes qui étonnent une partie de la toile tunisienne.
On peut ainsi lire dans le communiqué présidentiel que « tout comme la joie est entrée hier avec l’abolition du travail en sous-traitance dans le Code du travail, ce même bonheur s’étendra bientôt à tous les autres secteurs grâce à des solutions radicales qui rompront définitivement avec un odieux passé ». Le président renchérit dans le même style emphatique : « Demain, illuminé par la justice, la liberté et la dignité nationale, sous l’harmonie et l’osmose entre les fonctions législative et exécutive issues de la même volonté populaire, ce lendemain radieux est désormais tout proche ».
Tout un programme ! Amusé par ce registre laudatif, un internaute narquois a comparé la teneur du texte aux journaux télévisés de la Corée du Nord : « La dernière fois que j’ai entendu ce type de propos concernant des mesures à caractère socialiste, ce fut dans un film coréen du sud où l’on raillait le bulletin des voisins du Nord fait de superlatifs des lendemains qui chantent ».
Des représentants du peuple hôtes du Palais
Outre la radicalité revendiquée par Kais Saïed, l’invitation la veille de deux citoyens anonymes au Palais n’a pas manqué d’interpeller les Tunisiens. Mercredi 21 mai, un communiqué laconique annonçant que le chef de l’État avait reçu Wissem Mejdi et Walid Eljed au Palais de Carthage. Aucun détail n’a été fourni sur l’identité ou les fonctions des deux hommes, laissant planer le mystère sur le profil des invités du jour. Qui sont donc ces deux personnes complètement méconnues du grand public ?
Fonctionnaire au ministère des Finances, Walid Eljed, est originaire de Mezzouna (gouvernorat de Sidi Bouzid) qui a récemment connu un drame avec l’effondrement du mur vétuste d’un lycée. Connu pour son engagement syndical, le jeune homme s’est illustré après l’incident de Mezzouna, en prenant la parole pour défendre les droits des travailleurs de sa région. Originaire de la ville de Bizerte dans le nord tunisien, Wissem Mejdi est quant à lui secrétaire général adjoint du syndicat de la sucrerie de Bizerte. Son engagement syndical et sa formation scientifique dessinent le profil d’un acteur social de terrain, peu habitué à la lumière médiatique.
Deux profils manifestement sélectionnés pour leur appartenance à la « Tunisie d’en bas », en présence desquels le président Saïed s’est félicité d’un jour « historique », celui de l’abolition de la précarité liée à la plupart des CDD, affichant une fois n’est pas coutume un grand sourire.
Une mauvaise réponse à un faux problème ?
Mais les critiques fusent au lendemain de l’adoption de la nouvelle loi, notamment au sein de l’intelligentsia et de l’opposition. L’ancien ministre de l’Emploi, Faouzi Ben Abderrahmen, a en effet estimé que le texte interdisant la sous-traitance était « une mauvaise réponse à une question mal posée ». Il fustige à ce titre que le Parlement n’ait pas tenu de débats francs sur la situation économique du pays. L’ancien ministre prédit l’échec de cette loi qui sera selon lui reflété par les prochains chiffres liés à l’emploi.
Conseiller en droit du travail et en gestion des ressources humaines, Slim Rekik, est pour sa part intervenu au sujet de l’amendement du Code du travail et de l’interdiction de la sous-traitance pour expliquer cette réforme impose aux responsables des ressources humaines un chantier colossal et les oblige à revoir en profondeur les contrats existants afin de les adapter aux nouvelles exigences légales. Rekik a en outre mis en garde contre « une hausse du contentieux social dans les deux prochaines années ».
Il a ensuite rappelé que l’un des principaux impacts de cette loi est de facto la transformation automatique de tous les contrats à durée déterminée en contrats à durée indéterminée, avec un effet immédiat et rétroactif. Toute personne ayant donc travaillé sans interruption pendant quatre ans dans la même entreprise est réputée titularisée de plein droit depuis le 6 mars 2025, même en cas de licenciement ultérieur à cette échéance.