Polémique autour d’une visite de Ghannouchi en Turquie

 Polémique autour d’une visite de Ghannouchi en Turquie

Photo Anadolu Agency


En pleine tourmente politique quelques heures après la chute du gouvernement Jemli proposé par Ennahdha, le chef du parti et président du Parlement Rached Ghannouchi s’est rendu contre toute attente en Turquie pour y rencontrer le président turc Erdogan. « Une provocation », pour une grande partie de l’opinion publique tunisienne.


A la surprise générale de la classe politique et des commentateurs samedi, c’est un organe de presse turc, l’agence Anadolu, qui publie en premier l’information et les photos de l’entretien entre les deux hommes, décrit comme étant « à huis clos », dans le bureau présidentiel du palais de Dolmabahçe.


C’est la deuxième fois en un peu plus de deux mois que le président turc reçoit Ghannouchi. Cette fois, ce dernier est présenté par l’agence officielle turque en sa qualité de président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) tunisienne.


Alertée, l’agence nationale tunisienne TAP s’enquiert auprès de Khalil Baroumi, responsable du bureau d’information d’Ennahdha, qui confirme que Rached Ghannouchi est bien à Istanbul, reçu par Recep Tayyip Erdogan :


« Le président du mouvement Rached Ghannouchi a entrepris le voyage en Turquie à titre personnel, au nom du parti, et sur la base d’un engagement pris à une date antérieure », précise Baroumi.


La même source a beau expliquer, visiblement dans le souci d’anticiper la controverse, que Ghannouchi « entretient une relation très spéciale avec le président turc », la nouvelle est accueillie par un tollé en Tunisie, où l’on pouvait notamment lire sur les réseaux sociaux : « On se fout de nous ! », lorsque d’autres sources ont par ailleurs expliqué qu’il s’agissait pour Ghannouchi de féliciter Erdogan pour la mise en circulation de la première voiture 100% turque.


 


« Ingérence ottomane »


Pour le député et ancien ministre Mabrouk Korchid, la visite du Président de l’Assemblée des représentants du peuple en Turquie « est une violation des usages diplomatiques et une atteinte faite à la souveraineté tunisienne. Ghannouchi n’est pas autorisé à rencontrer le président turc seul, en absence de l’ambassadeur de Tunisie », a-t-il estimé, ajoutant qu’il est du droit de l’État tunisien de savoir ce qui a été discuté lors de cette visite, le président de la République étant le seul à pouvoir tenir une réunion fermée avec le président d’un pays étranger, et Ghannouchi ne pouvant en aucun cas se départir de sa qualité de président du Parlement.  


Pour le député et chef du bloc de la réforme nationale Hassouna Nasfi, cette visite effectuée dans un jet privé et dont l’Assemblée n’a pas été mise au courant, constitue une enfreinte à la tradition tunisienne du non-alignement, dans la mesure où la Turquie est actuellement impliquée à nos frontières auprès de l’un des belligérants libyens. Quelques heures après la visite de Ghannouchi, Erdogan recevant d’ailleurs le président du Conseil libyen Fayez Sarraj, mais Nasfi pense savoir que les trois hommes se sont croisés et entretenus à Istanbul.  


 


Vers une motion de censure ?


Selon le règlement intérieur de l’ARP, la signature de 73 députés est nécessaire pour convoquer une séance plénière consacrée au retrait de la confiance au président de l’Assemblée, qui nécessite une majorité absolue de 109 voix seulement. C’est sur cette clause, à présent à la portée après la chute du gouvernement Jemli vendredi, que compte le Parti destourien libre, qui a entrepris dès samedi d’initier une pétition pour le retrait de confiance à Rached Ghannouchi.


Désormais sérieusement menacé de perdre ses fonctions de président incarnant le pouvoir législatif du pays, Ghannouchi doit également faire face à la fronde au sein de son propre parti Ennahdha, où les clans opposés à sa reconduction à la présidence du parti ont été renforcés par le séisme de l’échec cuisant que fut le refus de l’octroi de la confiance au gouvernement Jemli par 132 voix contre, 72 voix pour, et 3 abstentions.


Dimanche 12 janvier, Abdelhamid Jelassi, l’un des meneurs de cette fronde, a d’ores et déjà mis en garde contre toute tentation de « parler d’une prorogation du mandat de Rached Ghannouchi à la tête d’Ennahdha, conformément au règlement intérieur du mouvement qui le lui interdit ».


 


>> Lire aussi : Tunisie. L'Assemblée refuse la confiance au gouvernement Jemli

Seif Soudani