Edito- Vigilance

Depuis leur victoire électorale, les dirigeants d’Ennahdha ont voulu être rassurants.

En réalité, ils ont montré un parti capable de propos ambigus, voire de double langage, et qui puise ses références essentiellement dans la religion. Cette situation réclame une vigilance de tous les instants. Des acquis sont menacés et l’objectif de la révolution, qui consiste à instaurer une démocratie, devient désormais incertain.

Sur Hannibal tv, dans l’émission « Saraha raha » (samedi 30 octobre), Rached Ghannouchi avait voulu rassurer : Ennahdha tend la main à tous les Tunisiens ; respectera les libertés individuelles et la liberté tout court ; il n’y aura nulle contrainte ; les droits des femmes seront respectés.

Ces positions sont conformes à ce qui figurait dans le programme publié le 14 septembre dernier et qui était rassurant puisqu’on y relevait entre autres, le respect de la liberté de croyance, une première dans le monde arabe.

Mais, après la victoire, nous avons constaté des différences, pour ne pas dire des régressions.

La première différence tient à l’attitude. Le référentiel religieux est désormais omniprésent. Il est à la source de toutes les explications, de toutes les positions :

– Si Ennahdha accepte le code du statut personnel, c’est parce qu’il s’agit d’un « ijtihad », un effort d’interprétation  religieuse, justifie Rached Ghannouchi.

– Si Ennahdha n’interdit pas l’alcool, c’est parce que l’interdiction ne donne jamais de bons résultats, il faut lui préférer la « progressivité » (attadarroj), comme le montre si bien l’exemple des premiers temps de l’islam.

Ennahdha ne touchera pas aux acquis, répètent ses dirigeants. Mais voilà Rached Ghannouchi, ce samedi 30 octobre, qui explique, du haut de ses 41,6% des sièges, que le texte sur l’adoption ne peut pas rester en l’état. Ses propos sont suffisamment vagues pour qu’on ignore s’il compte changer uniquement l’intitulé (kafala à la place d’adoption) ou les dispositions de fond (nom de famille, droit à l’héritage).

Le lendemain, dimanche 31 octobre, dans Mots croisés (sur France 2), Abou Yaarab Marzouki, mandaté par Ennahdha pour participer à l’émission, répond à une question au sujet de la kafala. On apprend que si le parti doit changer le nom de l’adoption en kafala, c’est pour « ne pas contrecarrer la loi coranique ». L’enfant héritera-t-il? Oui, en tant que « kafil », pas en tant qu’enfant adopté. Portera-t-il le nom de la famille adoptive? Silence.

Ces explications, décisions et prises de position posent problème :

        1.  

          1. 1- la progressivité est une notion inquiétante ; aujourd’hui l’adoption, demain l’alcool et la semaine prochaine les châtiments corporels ?

  1. 2- l’avenir de la Tunisie dépendra-t-il de l’interprétation que x ou y fera de la religion? 

        1.  3- La référence religieuse en tant que source de normativité est-elle compatible avec la démocratie ?

          1.  
          2. 4- La promesse faite par Ennahdha et qui consiste à respecter les acquis est violée avant même que la nouvelle assemblée ne soit installée ;

     

      Le problème n’est pas la religion en tant que telle. C’est une évidence. C’est plutôt l’usage qui peut en être fait.

      La révolution avait pour objectif l’instauration de la démocratie et cet objectif est maintenant menacé car le texte d’une constitution peut être non démocratique, même s’il est rédigé par une majorité.

      La question aujourd’hui est de savoir ce qu’est le parti Ennahdha, car c’est lui qui sera aux commandes.

      Est-il un parti islamiste ? Ou un simple parti conservateur ?

      La meilleure définition que je connaisse de l’islamisme est celle du roi Hassan II. C’est un ami, brillant penseur tunisien qui me la rapporte. Un islamiste, disait le souverain, est quelqu’un qui veut imposer sa conception de la vie aux autres. Un musulman est quelqu’un qui vit sa foi, sans chercher à l’imposer aux autres. On peut ajouter deux autres critères : un parti islamiste mélange le politique et le religieux et puise la norme juridique dans la religion.

      De ce fait, Ennahdha reste un parti islamiste et non pas un parti conservateur. Car on a bien pensé après la publication de son programme, qu’il devenait un simple parti politique comme les autres. Alors qu’en Turquie, l’AKP, malgré son référentiel religieux, est bel et bien un parti politique comme les autres.

      Ennahdha a parcouru un long chemin sur la voie de l’ouverture. Mais il n’est pas allé jusqu’au bout.

      L’arrivée au pouvoir d’Ennahdha était inévitable, car le fait religieux est là. L’exclusion et l’anathème n’ont conduit qu’à la radicalisation. Ce parti continuera à évoluer ou échouera, ce sont les deux seules possibilités qui se présentent.

      Aujourd’hui, il faut aider Ennahdha à poursuivre son évolution, sinon il glissera vers le populisme, voire une forme ou une autre de radicalisation. Les alliances avec ce parti, de la part du CPR et d’Attakattol, sont une excellente stratégie, à condition que ces deux partis et le reste des Tunisiens, restent vigilants et intraitables sur les libertés individuelles et la préservation des acquis. La question de l’adoption, qui peut sembler mineure, est un premier test.

      Naceureddine Elafrite

       

       

       

       

       

       

      Naceureddine Elafrite