La science politique en deuil. Disparition de Leonardo Morlino

 La science politique en deuil. Disparition de Leonardo Morlino

Leonardo Morlino, politologue italien et figure majeure de la science politique, s’est éteint le 18 juin 2025 à l’âge de 77 ans. Capture d’écran

La science politique perd une de ses illustres figures, le politologue italien Leonardo Morlino.

La science politique est en deuil. L’éminent politologue italien Leonardo Morlino est décédé le 18 juin à l’âge de 77 ans, à la suite d’une longue maladie. Il a été professeur de science politique et directeur du Centre de recherche sur les démocraties et les démocratisations, à la prestigieuse Université de science politique de Rome, la LUISS. Auparavant, il était professeur à l’Université de Florence. De 2009 à 2012, il a été président de l’Association internationale de science politique (IPSA-AISP). Il est l’auteur d’une quarantaine de livres et de plus de 230 articles de revues et chapitres de livres, publiés en anglais, français, allemand, espagnol, hongrois, chinois et japonais. Parmi ses ouvrages les plus récents, on trouve Equality, Freedom and Democracy (Oxford University Press, 2020) ; How Economic Crises Change Democracy? Evidence from Southern Europe (Palgrave, 2017) ; Democracias y Democratizaciones (CIS, 2008). Il a souvent écrit en collaboration avec Larry Diamond. Il a également coédité avec Bertrand Badie et Dirk Berg-Schlosser l’Encyclopedia of Political Science, en huit volumes (IPSA, Sage, 2011). Ses recherches ont porté en général sur l’Europe du Sud et de l’Est, en mettant l’accent sur la démocratisation, la qualité de la démocratie et le rôle des acteurs internationaux dans les transitions démocratiques. Il s’est beaucoup intéressé à la révolution tunisienne et à la transition démocratique. C’est à ce titre que j’ai eu le privilège d’être associé à certains de ses colloques internationaux sur la démocratie après 2011 à Rome. Et il a insisté pour que l’Association tunisienne d’études politiques (ATEP) adhère à l’International Political Science Association (ONG créée par l’Unesco en 1948), qu’il présidait alors. Il était un des membres du comité scientifique de la Revue tunisienne de science politique. Au-delà de ses hautes compétences, Morlino était un homme affable, très aimable, mais très rigoureux sur le plan scientifique, comme la plupart des grands sages.

À vrai dire, Leonardo Morlino est le théoricien reconnu de la question de « la qualité de la démocratie », théorie qu’il a longuement développée dans ses multiples ouvrages et écrits, comme Légitimité et qualité de la démocratie (RISS, 2010) ou What’s a Good Democracy? (2011), The Quality of Democracy in Latin America (IDEA, 2016).

La notion de « qualité de la démocratie » constitue chez lui une tentative d’aller au-delà des définitions minimales de la démocratie (telles que les approches procédurales de type schumpétérien), en évaluant non seulement les procédures électorales, mais aussi les performances, les contenus et les pratiques démocratiques. Morlino cherche ainsi à mesurer la démocratie en profondeur, dans ses différentes dimensions, en combinant normes, pratiques et résultats. Il définit la qualité de la démocratie comme : « le degré selon lequel une démocratie atteint ses objectifs normatifs dans ses différentes dimensions » (What is a Good Democracy?, 2011). Autrement dit, il s’agit d’évaluer non seulement la stabilité institutionnelle, mais aussi la profondeur démocratique, l’État de droit, la représentation, la responsabilité, la participation et la liberté, et ne pas se contenter de la procédure électorale pour juger les « bonnes démocraties ».

Morlino propose huit dimensions pour évaluer la qualité d’un régime démocratique. Il s’agit de l’État de droit (respect des lois, indépendance de la justice, égalité devant la loi) ; la responsabilité (responsabilité verticale, par les élections, et horizontale, par le contrôle institutionnel) ; les libertés et droits (respect effectif des droits civils et politiques) ; la participation (niveau et qualité de la participation citoyenne – élections, associations, manifestations) ; la compétition (existence d’une compétition politique effective, équitable et pluraliste) ; la représentation (capacité des institutions à refléter la diversité des préférences citoyennes) ; la réactivité (capacité des gouvernants à répondre aux demandes des citoyens) ; l’égalité (égalité politique et, dans une certaine mesure, sociale – accès aux droits, non-discrimination).

Ces dimensions s’articulent autour de trois valeurs fondamentales : liberté, égalité, contrôle (au sens de l’accountability). Morlino distingue également trois niveaux à travers lesquels évaluer la qualité démocratique : les procédures, pour la conformité aux règles démocratiques ; les contenus, pour les résultats produits en matière de droits, de libertés, d’égalité ; et les résultats (outcomes), qui se rapportent au niveau de satisfaction des citoyens, à la légitimité et à l’efficacité des politiques.

L’un des apports majeurs de Morlino est d’avoir développé une approche comparative de la qualité démocratique, notamment dans les jeunes démocraties du Sud de l’Europe et d’Amérique latine. Il insiste sur le fait que toutes les démocraties ne se valent pas, et que certaines peuvent être formellement démocratiques mais de faible qualité. Qu’il repose en paix.