Yacine Haffaf : « Nous nous substituons à ces gouvernants lâches »

 Yacine Haffaf : « Nous nous substituons à ces gouvernants lâches »

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À 69 ans, le chirurgien Yacine Haffaf n’a rien perdu de sa fougue. Installé depuis plus de trois décennies à l’île de La Réunion, ce spécialiste de chirurgie viscérale et abdominale a derrière lui près de 30 missions humanitaires, du Congo au Yémen en passant par Haïti, l’Irak ou le Cambodge. En juillet 2024, il a pu entrer dans Gaza avec la Croix-Rouge internationale, puis en décembre avec l’association Palmed. Deux expériences qui l’ont profondément marqué.

Aujourd’hui, il s’apprête à embarquer dans une nouvelle aventure : rejoindre, depuis l’Espagne le 31 août, la flottille internationale Waves of Freedom dont il est le Président de la branche française. Une coalition de voiliers venus de 40 pays, réunis sous le nom de Global Sumud Flotilla, qui ambitionne de briser le blocus maritime imposé à Gaza depuis 2007.

Vous avez une longue carrière de chirurgien et de missions humanitaires. Comment en êtes-vous arrivé à vous engager pour Gaza ?

Yacine Haffaf : Je suis né en Algérie. Arrivé enfant en France, j’ai fait mes études à Paris puis à Rennes. Il y a 35 ans, j’ai découvert La Réunion lors d’un remplacement, et j’y suis resté. J’ai ensuite mené près de trente missions humanitaires avec Médecins sans frontières : en RDC, au Sri Lanka, au Soudan, au Yémen… En 2024, j’ai pu entrer deux fois à Gaza : en juillet avec la Croix-Rouge internationale, puis en décembre avec l’association Palmed. Ces missions m’ont bouleversé : la situation dépasse en intensité et en horreur tout ce que j’ai pu voir ailleurs.

C’est-à-dire ?

Yacine Haffaf : Le nombre de blessés et la gravité des cas sont inimaginables. Jamais, même au Yémen, je n’avais vu autant d’amputations chez des enfants. Des hôpitaux débordés, avec quelques dizaines de lits pour des centaines de blessés. Beaucoup meurent non seulement sous les bombes, mais aussi faute de soins : les diabétiques sans insuline, les insuffisants rénaux privés de dialyse, les cancéreux sans traitement. Ces morts-là ne sont pas comptabilisés comme victimes de guerre, mais ils en sont les victimes directes.

Pourquoi choisir la mer, avec Waves of Freedom, plutôt que de tenter une nouvelle entrée via une association ?

Yacine Haffaf : Parce qu’aujourd’hui, même les médecins sont refoulés. Récemment, 12 ont tenté d’entrer, dix ont été refoulés. Les Franco-Algériens sont particulièrement ciblés. Et puis, c’est ma troisième mission. Je suis président de Waves of Freedom. Je pense être “grillé”. La voie maritime est devenue une alternative, même si les chances de succès sont minces.

Vous dites que c’est aussi un choix politique ?

Yacine Haffaf : Bien sûr. Nos gouvernements sont trop lâches. Ils devraient agir, mais leur lâcheté les en empêche. Alors nous nous substituons à eux. On ne peut pas rester immobiles face à ce qui se passe. Si toute la population civile se mobilise, les dirigeants n’auront pas d’autre choix que d’agir.

Vous n’avez pas peur des risques encourus ?

Yacine Haffaf : Je ne suis pas croyant, je n’ai pas peur de mourir. Ce que je redoute davantage, ce sont les conditions de détention : la chaleur, l’absence d’hygiène, l’incertitude de ne pas savoir quand je sortirai… et puis mon arthrose, qui n’arrangera rien (sourire). Mais je n’ai pas peur des balles. Je sais qu’ils ne peuvent pas tout se permettre : tirer sur une flottille humanitaire, ce serait franchir un seuil qui les mettrait à dos l’opinion mondiale.

Qu’espérez-vous concrètement de cette flottille ?

Yacine Haffaf : Nous savons que nous ne briserons pas le blocus seuls. Mais il s’agit de faire entendre une voix collective, de montrer qu’un mouvement citoyen international existe. La flottille réunit près de quarante pays : c’est historique. Et si les gouvernements ne veulent pas voir, alors ce sont les citoyens qui leur rappelleront leurs responsabilités.