Tunisie. Le syndicaliste Lassâad Yaâkoubi placé en garde à vue

Le parquet du tribunal de première instance de Ben Arous a ordonné jeudi la garde à vue de Lassâad Yaâkoubi, figure très en vue du syndicalisme tunisien, ancien secrétaire général de la Fédération générale de l’enseignement secondaire, relevant de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT). Sans lien avec ses activités syndicales, l’arrestation n’en revêt pas moins une dimension politique.
La décision intervient en effet dans le cadre d’une enquête ouverte pour soupçons de monopole et de spéculation sur les denrées alimentaires, en marge d’une campagne sécuritaire en vigueur depuis plusieurs semaines dans l’agroalimentaire.
Selon les premières informations, l’opération s’inscrit dans les efforts déployés par la Garde nationale pour lutter contre la spéculation, le stockage illégal et la manipulation des prix sur les marchés. Des agents de la brigade centrale de lutte contre la criminalité économique, relevant de la direction des affaires judiciaires, ont perquisitionné un entrepôt situé à Mornag, dans le gouvernorat de Ben Arous, au sud de Tunis.
L’enquête a révélé la présence d’environ quinze tonnes de pommes de terre entreposées dans un local bâti sur un terrain agricole appartenant à Lassâad Yaâkoubi. La marchandise a été saisie, tandis que l’entrepôt a été placé sous scellés. Les autorités cherchent à déterminer si les quantités stockées relevaient d’une activité commerciale non déclarée, d’un acte de spéculation ou d’un simple usage agricole, tandis que les proches de l’accusé considèrent ces quantités comme « ordinaires ».
Figure controversée du syndicalisme enseignant
Âgé d’une cinquantaine d’années, Lassâad Yaâkoubi s’est imposé comme l’une des figures marquantes du syndicalisme tunisien. Enseignant de formation, il a dirigé durant plusieurs années la Fédération générale de l’enseignement secondaire, jouant un rôle central dans les mouvements sociaux du secteur éducatif depuis 2011.
Connu pour son ton direct et son style combatif, il a souvent occupé le devant de la scène médiatique lors des grèves à répétition et des négociations avec le ministère de l’Éducation. Ses partisans le présentent comme un défenseur infatigable du corps enseignant, tandis que ses détracteurs lui reprochent des positions jugées intransigeantes. Depuis son départ de la direction du syndicat, il reste une voix écoutée dans les milieux syndicaux et un acteur influent du débat social en cette période de récente rentrée scolaire.
Réactions contrastées
L’annonce de sa garde à vue a suscité de nombreuses réactions dans le débat public tunisien. Au sein de l’UGTT, la centrale a adopté un ton plutôt mesuré, appelant à respecter la présomption d’innocence et à attendre les conclusions de l’enquête. Des responsables syndicaux ont toutefois exprimé leur étonnement et mis en garde contre toute tentative de politisation de l’affaire.
Dans la classe politique, les réactions sont partagées. Des opposants estiment que cette arrestation pourrait s’inscrire dans un contexte de pression sur les voix critiques, tandis que d’autres saluent une application égale de la loi, indépendamment du statut ou des antécédents du mis en cause, ce dernier étant autrefois considéré comme faisant partie des « intouchables ».
Car pour de nombreux observateurs, l’affaire dépasse la seule question judiciaire. Dans un climat marqué par des tensions entre le pouvoir exécutif et plusieurs acteurs sociaux, la garde à vue d’une personnalité syndicale aussi connue que Lassâad Yaâkoubi revêt une forte portée symbolique confortant une sorte de lutte des populismes, entre lutte des clans à l’intérieur même de factions rivales de l’UGTT et actuel pouvoir soucieux d’exemplarité légaliste et faisant peu de cas des corps intermédiaires.
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