Meriem Chabani, bâtir autrement

Meriem Chabani, architecte franco-algérienne, fait de son parcours migratoire une force et conçoit l’architecture comme un outil de justice sociale. Crédit photo : © Kaname Onoyama
Née à Alger, élevée en banlieue parisienne, cette architecte multiprimée a fait de son histoire migratoire une force. Aujourd’hui, la trentenaire enseigne à Harvard et voit son métier comme un outil de justice sociale.
« J’ai grandi entre deux mondes, avec la sensation de naviguer en permanence entre des cultures, des manières d’habiter et de faire société différentes », raconte Meriem Chabani. Née à Alger en 1989, elle a trois ans quand la guerre civile pousse ses parents, tous deux médecins, à s’exiler en France. À Vitry-sur-Seine, en banlieue parisienne, ils tiennent un hôtel.
De cette enfance marquée par la migration, elle garde une certitude : « l’espace n’est jamais neutre, il reflète des rapports de pouvoir, des exclusions mais aussi des formes de solidarité ». Cette conscience aiguë de l’espace la mène à l’architecture, qu’elle choisit d’étudier à l’École nationale supérieure d’architecture de Paris-Malaquais.
Après un début de carrière chez Lambert-Lénack, à travailler sur l’aménagement de quartiers sensibles, elle fonde en 2015 sa propre agence, New South, avec l’architecte et anthropologue britannique John Edom.
« New South est né d’une volonté de déplacer les cadres habituels de l’architecture », explique-t-elle. « La force de ma collaboration avec John tient à son expertise en anthropologie, qui nous permet d’examiner la ville au-delà de ses plans et de ses volumes, pour s’intéresser à ses temporalités, ses gestes et ses relations. »
Le choix du nom est tout sauf anodin : « Le Sud n’est pas une simple géographie, c’est une construction politique, inventée en opposition à une norme – le Nord – qui se prétend universelle. Décoloniser, à mon sens, c’est ouvrir un espace critique et créatif, où d’autres expériences, d’autres savoirs, d’autres manières de faire monde puissent être reconnues comme légitimes. »
Engagée, elle imagine une architecture attentive aux corps vulnérables : « Concevoir en pensant aux enfants, aux personnes âgées, aux femmes, aux minorités, c’est se donner une grille de lecture différente, qui déplace les priorités et transforme les espaces. » Une approche qui a valu à New South d’être shortlistée pour le mémorial de la Tour Grenfell, à Londres, après l’incendie qui fit 79 morts en 2017.
En France, elle alerte sur les manques criants des HLM de banlieue, « l’absence de vert, de vie, de lien ». Elle a été choisie en janvier dernier pour concevoir une mosquée dans le 11ᵉ arrondissement de Paris, « loin des codes orientalistes de dômes et de minarets ». Une mosquée dont l’allure affirme que l’islam n’est pas étranger à la France.
Meriem Chabani expose à la Biennale de Venise, à la Triennale d’Oslo ou encore au MAXXI de Rome. Elle enseigne aujourd’hui à l’ENSA Paris-Malaquais, au Royal College of Art à Londres et, jusqu’en janvier 2026, à Harvard.
« Mon objectif est de construire de la légitimité pour des cadres de connaissance historiquement considérés comme subalternes. Enseigner, c’est contribuer à transformer le canon de l’architecture. » Et de rappeler l’origine du mot : « canon vient du « Qanûn » d’Avicenne, un ouvrage de médecine rédigé en arabe au XIᵉ siècle, puis traduit en latin et devenu référence en Europe. Avec le temps, on a oublié son origine arabe. C’est un exemple frappant de la manière dont les savoirs circulent et parfois s’effacent. »
Cette trajectoire singulière lui a déjà valu de nombreux prix — Holcim « Next Generation », Europan, Europe 40 Under 40, Graham Foundation. Mais au-delà des distinctions, sa plus grande fierté reste d’avoir transformé ce qu’elle appelle sa position « d’entre-deux » en ressource. Un regard décentré qui ouvre de nouveaux possibles.
