Une voiture pour chaque famille tunisienne : une exonération douanière controversée

 Une voiture pour chaque famille tunisienne : une exonération douanière controversée

Déjà mise à l’épreuve des embouteillages monstres, l’infrastructure des villes tunisiennes s’apprêtent à recevoir une nouvelle fournée d’automobiles

L’Assemblée des représentants du peuple a adopté ce weekend l’article 55 du projet de loi de finances 2026 qui ouvre, en théorie, la possibilité pour chaque famille résidant en Tunisie d’importer ou d’acheter, une seule fois dans la vie, un véhicule neuf ou d’occasion via un avantage fiscal : l’exonération des droits de douane à l’importation. Mais le texte est loin d’être un chèque en blanc. Il est assorti de plusieurs restrictions et garde-fous qui limitent et encadrent fortement l’accès à ce privilège.

L’euphorie liée à l’utopie de la voiture pour tous n’aura duré qu’un temps. Plusieurs voix s’élèvent déjà pour dénoncer « une loi à la tunisienne », « entourée de conditions draconiennes confinant à la loterie ou la roue de la fortune », dixit l’artiste Sadok Nordo. Pour le polémiste Moez Haj Mansour, le texte de loi en question est en soi « la preuve que des cadres du ministère des Finances protègent toujours les mêmes huit familles qui sont autant de cartels d’importation de véhicules dans le pays, un modèle d’économie de rente indéboulonnable ».

Car parmi les conditions d’obtention du Saint Graal, l’avantage est d’abord unique à vie, réservé à la définition légale de la « famille » (conjoint, enfants mineurs, etc.). Autre limitation clé, le véhicule importé ne doit pas dépasser un âge maximum : la mouture finale du texte fixe un plafond de 8 ans. Le véhicule ne peut pas ensuite être cédé avant un délai probatoire de 5 ans, de sorte de limiter la revente spéculative.

Le texte de loi interdit en outre le cumul avec d’autres dispositifs publics, dont par exemple celui de la « voiture populaire » et prévoit des plafonds de cylindrée : en essence à ≤1400 cm³ (1.4L), en diesel à ≤1700 cm³ (1.7L), tandis que les véhicules électriques hybrides ou assemblés localement bénéficient d’exonérations complémentaires. Il y a enfin des critères de ressources : un plafond de revenus n’excédant pas 10 fois le Smig pour filtrer les bénéficiaires, et surtout un quota fixant à 10% ces véhicules importés du total annuel des importations par les concessionnaires.

 

La ministre des Finances tire le frein à main

Ces nombreux garde-fous n’ont cependant pas suffi à rassurer l’exécutif. La ministre des Finances, Michket Slama Khaldi, a exprimé face aux députés des réserves nettes. Elle a jugé le dispositif « coûteux pour les finances publiques et quasi inapplicable ». Revêtant le rôle pédagogique de maîtresse d’école, elle a dû rappeler aux doux rêveurs que « le droit d’importation est encadré par des lois et des conditions strictes, et constitue une question fondamentale depuis l’indépendance de la Tunisie dont la monnaie est protégée par la Banque centrale, n’étant pas une devise convertible ». Elle a par conséquent insisté sur la nécessité d’un décret d’application avant toute mise en œuvre.

Dans son discours devant les députés, Michket Slama Khaldi a également mis en garde sur une bombe à retardement précis : « Si le projet vise à pallier la situation du transport public, il risque d’entraîner l’importation de véhicules anciens générant des pannes et nécessitant des pièces de rechange en devises étrangères, ce qui constitue un péril supplémentaire pour l’économie nationale ». Elle a donc été contrainte d’accepter le principe à reculons, tout en demandant davantage de modalités strictes.

 

Risques fiscaux et écologiques

Economistes et experts alertent pour leur part sur plusieurs dangers macro-économiques concrets : la perte de recettes douanières (droits et taxes constituant une source non négligeable du budget), une pression accrue sur les réserves de change si l’afflux d’importations se matérialise, et un effet d’éviction du parc automobile local.

Sur le plan écologique, l’arrivée massive de véhicules d’occasion pourrait aussi aggraver la congestion et la pollution, tout en augmentant la dépendance en pièces détachées importées — autrement dit, un circuit de sortie continue de devises. Des voix spécialisées jugent donc la mesure timing périlleux tant que la Tunisie n’aura pas consolidé ses réserves et sécurisé ses recettes fiscales.

L’article 55 instaure en somme un droit théorique attractif mais fortement encadré qui remet en question son utilité. Son application réelle demeure tributaire de la capacité de l’État à absorber les coûts budgétaires et l’impact sur les réserves en devises. Sans ces garanties, la mesure risque de transformer un gain politique populiste à court terme en déséquilibre économique durable.