Saut en hauteur. Nawal Meniker, un phénix qui renaît de ses cendres

 Saut en hauteur. Nawal Meniker, un phénix qui renaît de ses cendres

Nawal Meniker (FRA) participe au saut en hauteur féminin lors des Championnats de France d’athlétisme en salle, au stade Jean Pellez, à Clermont-Ferrand, France, le 18 février 2023. KEMPINAIRE Stéphane / KMSP / KMSP via AFP

Imaginez Nawal Meniker, jeune adolescente de Rivesaltes, près de Perpignan, à l’âge de 16 ans. Elle vient de sauter 1m88, a remporté la médaille d’or aux jeux olympiques de la jeunesse. Au sein de la Fédération française d’athlétisme, ils sont beaucoup, et on les comprend, à miser sur elle, à la voir rivaliser dans quelques années avec les plus grandes sauteuses en hauteur de la planète. Puis, plus rien.

« J’ai mal géré la pression après ce titre. Je ne pensais pas que je serai médiatisée de la sorte. A chacune de mes sorties, j’étais attendue. Je devais à chaque fois être performante », se remémore l’athlète, aujourd’hui âgée de 25 ans. Depuis quelques mois, elle semble être enfin repartie sur de bonnes bases. Le 22 janvier dernier, elle a battu une première fois son record à Eaubonne (95) en franchissant une barre à 1m91, puis aux Championnats de France en février où elle atteint 1m92, avant d’effacer à Tucson, aux Etats-Unis, le 29 avril, 1m93.

Pourtant après ce premier gros sacre en 2014, tout semblait être aligné pour cette adolescente qui rêve depuis gamine d’exploits sportifs. Nawal Meniker a un objectif clair : décrocher une médaille aux Jeux olympiques. Pour arriver à son but, elle est soutenue par ses parents, deux sportifs, le papa, ancien footballeur, devenu marathonien et sa maman, nageuse. L’aînée de la famille, c’est elle. Elle a une sœur et deux frères.

Nawal Meniker a toujours fait du sport, d’abord du judo, puis de la natation, de l’équitation, de la danse, du tennis, de la boxe thaï, mais c’est sur une piste d’athlétisme qu’elle s’éclate le plus. « A la télé, je voyais ces filles longilignes franchir des barres d’hauteur. Elles le faisaient avec tellement de grâce que ça m’a donné envie », raconte la jeune femme.

Nawal Meniker réalise très vite qu’elle est douée pour le saut en hauteur. « Je mesure un mètre 78 pour 59 kilos, ce qui fait de moi l’une des plus petites sauteuses en hauteur du circuit. Je compense par un excellent pied », explique Nawal Meniker. Comprenez par là que son pied lui permet d’être à la fois tonique et de pouvoir se propulser très haut. Elle gagne tout en minimes puis en cadettes, devient même vice-championne d’Europe juniors en 2015.

Puis, elle a un coup de moins bien. De sa voix douce où chaque mot est réfléchi, elle analyse : « Comme je ne performais plus, les critiques étaient de plus en plus nombreuses et ça je peux le comprendre. C’est le jeu. Ce que je ne comprends pas, ce sont les « t’es nulle », des « ça sert à rien, tu peux arrêter », comme si on n’avait pas le droit de traverser une mauvaise passe ». 

Du jour au lendemain, on lui refuse l’accès à l’INSEP, le centre d’entraînement de Vincennes pour sportifs de haut niveau. Elle perd tous ses contrats de sponsoring, ne reçoit plus d’aides financières. « Je ne savais pas combien une partie de ce milieu était impitoyable », regrette-t-elle. Moralement atteinte, son physique commence lui aussi à lui jouer des tours. « J’ai enchaîné les blessures. J’ai eu quatre fissures sur le tendon rotulien », rappelle encore la jeune femme.

Malgré les contre-performances, – elle peine même à franchir des barres à 1m70 -, les pépins physiques qui n’en finissent pas, Nawal Meniker s’accroche, continue de s’entraîner tous les jours, seule dans son coin. Au fond d’elle-même, elle est convaincue qu’elle peut revenir à son meilleur niveau, et surtout progresser.

Puis, le déclic. A qui sait attendre, le temps ouvre ses portes. Et comme souvent, c’est le destin qui s’en charge, et du mauvais arrive le bon. « Rien n’allait. Sportivement, c’était la catastrophe. Et moralement, j’étais au plus bas. Je me séparais d’une longue relation de 7 ans. J’avais besoin de tout changer », détaille Nawal.

Le changement aura lieu aux Etats-Unis. Une de ses amies vit outre Atlantique depuis peu et ne tarit pas d’éloges sur le pays de l’oncle Sam. Elle la convainc de tenter l’aventure américaine. Son coach pense que c’est également une bonne idée. Nous sommes en février 2022. Elle arrive à El Paso au Texas. « Je ne voulais pas avoir des regrets à 50 ans de ne pas avoir tenté tout ce que je pouvais », se justifie Nawal.

Pour son rêve américain, elle peut compter sur le soutien financier de ses parents, « sans eux, cela n’aurait pas été possible ». Son nouveau club, le CA Montreuil l’accompagne également dans ce nouveau projet. Pendant trois mois, elle s’entraîne avec le groupe de Mickaël Hanany, recordman de France de la spécialité, 2m34 !

Nawal découvre un autre pays, « il fait toujours chaud et soleil à El Paso », une autre culture, celle de la gagne, et une autre méthode d’entraînement : « C’est plus beaucoup dur ici, c’est très exigeant. C’est stimulant d’être avec un groupe, de s’entraîner dans des infrastructures de très grande qualité, entourées de filles qui te tirent vers le haut, ose-t-elle la métaphore. J’ai tout de suite vu la différence ».  

Nous aussi ! Le 22 janvier 2023, quelques mois après son retour des Etats-Unis, Nawal Meniker améliore son record aux championnats régionaux à Eaubonne (95), passant de 1m88 établi en 2015, à 1m91 ! Celle qui galérait tant pour obtenir une place dans les meetings, est invitée désormais partout. A 25 ans, on reparle d’elle comme l’espoir de l’athlétisme français.

« Je la suis depuis ses débuts. J’ai rarement vu une athlète aussi obstinée. N’importe qui aurait abandonné à sa place. Pas elle. Elle a attendu huit longues années pour performer de nouveau. Elle est incroyable, confie Maryse Ewanjé-Epée, une des idoles de Nawal Meniker, légende de l’athlétisme français, multiple championne de France de saut en hauteur dans les années 80. Je me suis toujours dit que ce n’était pas possible de perdre une gamine aussi talentueuse. Aujourd’hui, elle a retrouvé la joie de vivre et elle a de nouveau confiance en elle et les résultats suivent. Elle est la parfaite illustration que 80% du sport se passe dans la tête ». 

« Aujourd’hui, je saute avec moins de pression, consciente que je reviens de loin. Je suis comme le phénix qui renaît de ses cendres », confirme de son côté Nawal, ravie d’avoir enfin pu conjurer le mauvais sort. C’est aux États-Unis, où elle s’entraîne désormais plusieurs mois par an, qu’elle a élevé son niveau. Grâce à son 1m93 gravi à El Paso le 29 avril dernier, elle s’approche doucement mais sûrement du record de France, détenu par Mélanie Skotnik (1m97). « Bien sûr, j’y pense mais je n’en fais pas une obsession », tempère l’athlète. « Je la vois battre le record de France bientôt. Si ce n’est pas cet été, ça sera l’année prochaine, prédit Maryse Ewanjé-Epée. Elle en était déjà capable il y a dix ans ». 

1m97, c’est aussi la barre qu’il faut franchir pour obtenir son ticket pour les Jeux olympiques de Paris en 2024, son rêve de toujours. « La sélection se fait aussi par rapport au rang mondial. Ils prendront les 24 meilleures », coupe Nawal. Fin juin 2023, Nawal Meniker occupait la 16e place. « Nawal est une athlète très compétitrice, c’est dans les grands championnats qu’elle est performante. Elle sera aux JO de Paris et elle en sera l’une des révélations », affirme sans sourciller Maryse Ewanjé-Epée.

En attendant, Nawal Meniker continue de briller. Bien installée chez les Bleues, elle a offert ce dimanche 25 juin à la France sa première victoire dans le saut en hauteur féminin aux championnats d’Europe par équipes, en effaçant 1,90 m et 1,92 m au premier essai, à un centimètre de son record personnel. Peu de temps après son concours, elle confiait être restée sur sa faim à cause de ses échecs à 1,94 m.

« Mon but ultime était de gagner et je suis très contente. J’ai donné mon maximum. Mais je rate 1,94 m de peu ». Puis, se rappelant sa longue traversée du désert, elle ajouta : « J’y repense tout le temps et je remets les pieds sur terre, en me disant : « pense aux huit ans pendant lesquels tu as galéré, où tu étais incapable de franchir 1,70 m » ». 

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Nadir Dendoune