« Il est impossible aujourd’hui pour les acteurs du football de parler librement », Abdelkrim Branine, auteur de « Chaos Football Club »

 « Il est impossible aujourd’hui pour les acteurs du football de parler librement », Abdelkrim Branine, auteur de « Chaos Football Club »

« Chaos football club », un livre de Abdelkrim Branine, co-écrit avec le journaliste sportif Daniel Riolo.

Abdelkrim Branine, 46 ans, est journaliste. Ancien rédacteur en chef de Beur FM et auteur du roman remarqué « Le Petit Sultan » (éditions Zellige), il publie « Chaos football club » (éditions Hugo Sport). Un livre co-écrit avec le journaliste sportif Daniel Riolo, l’une des voix les plus populaires de RMC. Une enquête fouillée, minutieuse, qui relève les dérives du football business. 

LCDA : Racontez-nous votre rencontre avec Daniel Riolo. 

Abdelkrim Branine : Daniel Riolo est entré en contact avec moi peu après la sortie de mon roman en 2022. Il avait particulièrement apprécié la description du côté sombre du football français présente dans le livre : le repli identitaire, les entourages malveillants, l’entrisme des voyous et toutes sortes d’excès liés aux sommes folles qui circulent dans le milieu.

J’ai été invité dans sa célèbre émission sur RMC, l’After, puis j’ai écrit pour la déclinaison magazine de ce programme, After Foot la Revue. Il avait un projet de livre qui devait se concentrer essentiellement sur la nouvelle génération d’agents et la multiplication des intermédiaires, dont certains individus liés de près ou de loin au banditisme des quartiers.

Lorsqu’il m’a proposé de travailler dessus avec lui, j’ai tout de suite accepté car c’était dans la continuité de ce que j’avais initié avec mon roman, Le Petit Sultan. Après quelques recherches, on a rapidement décidé d’élargir le spectre de notre enquête. Puis l’actualité en la matière nous a filé un sacré coup de main…

Il y a beaucoup de personnes qui s’expriment dans ce livre de manière anonyme… 

Il est impossible aujourd’hui pour les acteurs du football de parler librement. Disons qu’il y a deux sortes de menaces. Il y a tout d’abord des personnes dangereuses qui ont infiltré le milieu des agents et qui utilisent des méthodes empruntées au grand banditisme. Ceux qui ont subi ou qui ont connaissance de leurs pratiques ne veulent pas être cités par peur de représailles.

Puis il y a les délinquants en col blanc qui officient au sein des clubs et des instances dirigeantes. Ils ont beaucoup de pouvoir dans le milieu. Si vous les attaquez dans les médias ou dans un livre, ils s’arrangeront pour vous ruiner sur le plan professionnel. Donc les gens nous ont parlé mais pour la plupart de manière anonyme. Il a fallu établir un vrai rapport de confiance pour obtenir certains témoignages car la peur est omniprésente.

Vous dressez un portrait assez sombre du football français avec à la tête de la FFF (Fédération française de football) des gens qui sont prêts à tout pour conserver le pouvoir, où la corruption et la cupidité semblent être une seconde nature… N’était-ce pas déjà le cas auparavant ? 

Ces comportements existaient déjà dans les années 80 ou 90 mais ils ont été décuplés depuis. Le football est devenu une industrie qui génère des revenus gigantesques et attire de plus en plus de gens cupides qui se fichent complètement de ce sport.

Certains événements ont contribué à aggraver la situation, comme le choix de la dérèglementation du métier d’agent par la FIFA en 2015. En France, l’euphorie après la victoire de 2018 en Coupe du monde a entrainé une série d’abus inimaginables au sein de la FFF…

Pour espérer sortir de ce chaos, il faut tout d’abord assainir la gouvernance des institutions dirigeantes, à l’échelle nationale et internationale.

Le football féminin n’est pas non plus épargné….

Effectivement. Le football féminin n’est malheureusement plus épargné par ce chaos, comme nous avons pu le voir avec la section féminine du PSG. Il y a moins d’argent que chez les hommes, mais quand même assez pour attirer certains voyous. C’est aussi un milieu qui n’est pas encore saturé, donc il offre une possibilité de débouchés pour ceux qui n’ont pas pu faire leurs affaires au niveau des masculins.

Dans la soirée du 4 novembre 2021, Kheira Hamraoui, milieu de terrain du PSG est agressée à coups de barre de fer par deux inconnus dans une rue de Chatou (Yvelines). Aminata Diallo, son ex-coéquipière au PSG, est soupçonnée d’être la commanditaire de cette rixe. Malgré la mise en examen de Diallo dans cette agression, cette dernière joue à Levante en Espagne…

C’est assez surprenant en effet que la justice l’ait autorisée à quitter le territoire alors qu’elle est sous contrôle judiciaire. Elle est tout de même accusée d’être impliquée dans l’organisation d’une agression très violente…

Dans votre livre, vous livrez des détails affligeants sur cette affaire. On découvre notamment un racisme anti-maghrébin de la part d’Aminata Diallo. 

Ce racisme anti-maghrébin nous a beaucoup choqués lorsque nous avons travaillé sur cette affaire. Ces propos ont été tenus lors des échanges entre Aminata Diallo et César Mavacala, son conseiller, aujourd’hui mis en examen pour extorsion en bande organisée.

Il s’agit d’un engrenage ultra-communautariste qui a viré en délire suprémaciste noir. Il y a des barrières voire des fractures ethniques inquiétantes qui se dressent dans le football en France. Et nous savons à quel point ce sport peut annoncer les défis futurs d’une société…

Kheira Hamraoui, milieu de terrain au PSG, n’ira pas à la prochaine Coupe du monde qui aura lieu du 20 juillet au 20 août prochain en Australie et en Nouvelle-Zélande. Pensez-vous que son éviction a quelque chose à voir avec l’agression dont elle a été victime ?

Dès son arrivée à la tête des Bleues, Hervé Renard a écarté Hamraoui. On peut légitimement penser que le sélectionneur a fait un choix qui ne se base pas uniquement sur le critère sportif. Il l’a dit lui-même lors de l’annonce de sa première liste : « quand on forme un groupe, il y a plein d’éléments à prendre en considération. » Il y aussi des clans chez les féminines.

Tout un groupe de joueuses, et non des moindres, a soutenu Aminata Diallo. Renard a choisi la facilité pour garder le contrôle sur son vestiaire. Il a donc écarté celle qui était en minorité.

Vous écrivez que l’Île -de-France est le plus gros pôle de recrutement au monde… Comment l’expliquez-vous ? 

Comme nous l’écrivons dans le livre, l’Île-de-France a désormais un statut d’armée de réserve de l’industrie footballistique. Les instances françaises concernées par cette question ont validé de manière implicite ce rôle. Tous les centres de formation du pays viennent se servir dans les clubs de banlieue. Les recruteurs des plus grands clubs européennes connaissent la Seine-Saint-Denis.

En 2021, les U14 de Sarcelles ont été invités à un stage par le Bayern Munich. Ils ont battu leurs homologues bavarois 5 buts à 2… L’Île-de-France constitue à la fois un vivier d’une qualité exceptionnelle mais surtout inépuisable. On fait beaucoup rêver les jeunes des quartiers populaires avec les réussites de M’bappé et autres stars issues de banlieue alors qu’il y a en définitive très peu d’élus.

De nombreux parents sont aussi complices de ce système en poussant leur fils à devenir professionnel dans le seul but de décrocher le jackpot financier. C’est tout simplement un marché où il y a des acheteurs et des vendeurs.

Vous dites que le recrutement des jeunes joueurs dans les centres de formation se fait exclusivement sur des critères ethniques, excluant de fait les « Blancs »….

Cette politique de recrutement existe même s’il y a davantage de prudence aujourd’hui et un infléchissement au niveau de certains stéréotypes. Les « petits Blancs » sont de moins en moins présents pour plusieurs raisons. Tout d’abord, ils sont beaucoup moins nombreux dans les quartiers populaires, particulièrement ciblés par les centres de formation.

Aussi, certains parents ont beaucoup d’appréhension à l’idée d’inscrire leur gamin dans des clubs qui sont devenus l’antichambre de l’élite, avec toute la pression, la concurrence et les excès qui en découlent. Enfin, même s’ils prennent une licence, ces petits intéressent moins les recruteurs. C’est aussi la triste réalité qui résulte d’un processus de ghettoïsation.

Vous pointez du doigt la responsabilité des parents ou de l’entourage des joueurs dans l’échec de certaines carrières…

Il y a énormément de joueurs qui ont subi des coups durs à cause de leur entourage. On donne plusieurs exemples dans le livre. Nabil Fekir a raté son transfert à Liverpool, car un membre de sa famille a voulu s’incruster dans le deal. Pareil pour Lihadji, ancienne pépite du centre de formation de l’OM qui a finalement signé son premier contrat pro à Lille, avant de finir en réserve. Il joue aujourd’hui à Sunderland, en D2 anglaise…

Même des joueurs qui ont atteint le plus haut niveau mondial ont eu des problèmes à cause de leur entourage. Benzema est un cas d’école. Il a quand même été écarté pendant 6 ans de l’équipe de France et condamné à un an de prison avec sursis car il a voulu rendre service à son ami repris de justice, Karim Zenati, dans l’affaire de chantage à la sextape de Mathieu Valbuena.

On a l’impression en vous lisant qu’aujourd’hui, tous les footballeurs professionnels de renommée issus des quartiers populaires sont en danger. Comment l’expliquez-vous ?

Ils sont souvent en danger car ils n’arrivent pas à trouver un équilibre vis-à-vis de leur milieu d’origine. Tu ne peux pas être millionnaire et continuer de te comporter comme si tu faisais toujours partie du « peuple », pour reprendre une expression chère à Benzema. C’est une illusion.

Certains tentent de garder le contact avec leur quartier et de venir en aide financièrement à leurs amis d’enfance. Je trouve ça très bien, mais lorsqu’ils ne sont pas sur leurs gardes, cela peut vite déraper.

De nombreux footballeurs ont été pris au piège par des personnes plus ou moins proches qui en voulaient à leur argent. Ce n’est pas propre au football mais à tous les milieux où l’on retrouve beaucoup de gens issus de milieux modestes comme le rap ou la boxe. Mike Tyson a raconté un jour que la période la plus heureuse de sa vie correspondait à celle où il n’avait plus d’argent, car on ne pouvait plus rien lui prendre…

L’affaire Pogba est celle qui a le plus défrayé la chronique. Mais vous écrivez qu’il y en a beaucoup d’autres….

Il y en a beaucoup… Certaines affaires datent de plusieurs années et auraient dû nous alerter. Je pense à Emmanuel Adebayor et Abdelmalek Cherrad, deux cas longuement développés dans le livre. Il y aussi celui de N’golo Kanté, connu de tous. Ce joueur est toujours pris dans un engrenage terrible et cela n’a pas l’air d’inquiéter grand monde, alors qu’on parle quand même d’un international français.

Et puis il y aussi toutes ces affaires qui n’ont jamais éclaté et qui circulent depuis des années dans le milieu du football. Des joueurs qui ont dû quitter Paris car ils n’en pouvaient plus d’être rackettés… D’autres qui auraient dû signer au PSG mais qui ne l’ont pas fait de peur de subir le même sort. L’omerta est encore très présente.

 

Nadir Dendoune