Palestine. Revenons au débat arguments contre arguments

 Palestine. Revenons au débat arguments contre arguments

Des Israéliens manifestent à Tel Aviv, contre le génocide perpétré par le gouvernement Netanyahou à Gaza le 16 janvier 2024. AHMAD GHARABLI / AFP

J’ai toujours entendu que soutenir publiquement le peuple palestinien serait « dangereux » pour qui veut faire carrière dans les médias, le cinoche, ou dans l’art, que cela fermait énormément de portes, qu’il valait donc mieux faire l’autruche. Perso, j’ai toujours défendu la cause palestinienne. Haut et fort. Et je ne renierai jamais mes convictions.

 

En privé, certaines personnalités me disent : « T’as raison, c’est inadmissible ce qu’il se passe en Palestine, mais moi, je préfère ne rien dire ». Je leur rappelle que la loi internationale est du côté du peuple palestinien.

Leur peur est compréhensible : en France, certaines associations communautaires juives, des personnalités politiques ou médiatiques aiment intimider celles et ceux qui dénoncent un peu trop fort l’arbitraire israélien. Si certains craignent d’exprimer leur point de vue sur la question israélo-palestinienne, c’est qu’ils redoutent d’être traités d’antisémites.

Comme l’a rappelé dernièrement l’historien Dominique Vidal, les journalistes Daniel Mermet, Charles Enderlin et le géopolitologue Pascal Boniface ont fait les frais, par le passé, de ce chantage à l’antisémitisme. Tous ont été poursuivis au pénal, tous ont heureusement été blanchis par la justice française. Une raison de ne pas avoir peur et de continuer à s’indigner du sort fait aux Palestiniens.

En 2009, alors que je travaillais pour M6, un ancien responsable des jeunes de l’UMP avait aussi usé de ce stratagème abject à mon encontre. Il n’avait pas aimé l’un de mes reportages et au lieu de me traiter de connard de journaliste, il avait balancé à mon rédacteur en chef que je l’avais traité de « sale Juif ».

Le pire dans cette histoire c’est que mon boss n’avait pas douté une seconde de la véracité de cette accusation. Forcément, pour lui, un basané issu d’une cité du 93, sympathisant de la cause palestinienne, était forcément antisémite !

J’avais été sauvé par un collègue journaliste de Libération qui avait mis la pression sur le diffamateur. Ce bouffon avait fini par avouer qu’il s’agissait « d’une boutade ». Trop drôle ! Je n’en avais pas dormi de la nuit. C’est jamais agréable d’être traité de raciste, surtout quand c’est totalement faux.

Personne ne m’avait présenté des excuses, ni le rédacteur en chef, ni le responsable politique. Par la suite, je m’en étais voulu de n’avoir pas eu le courage de déposer plainte. Même si je n’avais rien fait, inconsciemment, j’avais peur que mon nom soit associé à « l’antisémitisme ».

Ce chantage à l’antisémitisme est d’abord utilisé pour faire diversion. En assimilant la question israélo-palestinienne à un problème racial ou religieux, et non à un problème politique, les maîtres chanteurs ferment la porte à toute réflexion sur le colonialisme. Circulez y a rien à voir : si vous critiquez la politique israélienne c’est que vous n’aimez pas les Juifs.

Être solidaire du peuple palestinien ne fait pas de vous un antisémite, même si certains, je le reconnais, se servent de la cause palestinienne comme d’un paravent à leur antisémitisme. Mais pour avoir couvert énormément de manifestations de soutien au peuple palestinien, ces antisémites sont heureusement ultra-minoritaires.

En tout état de cause, est-on traité de raciste anti-Russe quand on dénonce la politique du dictateur Poutine ? de raciste anti-Américain quand on vomit la politique américaine au Proche-Orient ou en Amérique du Sud ? d’anti-Chinois quand on s’indigne du sort fait aux Ouïghours ?

Ces chantages à l’antisémitisme sont aussi une marque de faiblesse. Ils sont le reflet d’un malaise d’une partie de la communauté juive qui a du mal à défendre la politique indéfendable de l’État d’Israël et qui trouve là le moyen le plus rudimentaire pour disqualifier celles et ceux qui défendent de solides arguments.

Ces chantages à l’antisémitisme sont aussi dangereux. Toute l’année, je rencontre des jeunes, dans les collèges, dans les lycées où je suis invité, ou dans ma ville à l’Île-Saint-Denis. Je les entends parfois se plaindre du fameux « deux poids, deux mesures ».

Ils ont le sentiment qu’il serait plus grave en France d’être antisémite que d’être raciste envers les musulmans, les Arabes, les Noirs ou les Roms. Que le gouvernement français, la justice, seraient moins intransigeants avec un « sale Juif » qu’avec un « sale Arabe », ou un « sale Noir », qu’un tag antisémite sur une synagogue devient un fait de société, tandis qu’une tête de porc déposée devant une mosquée n’est vue que comme un vulgaire fait divers.

J’essaie de trouver des arguments en leur rappelant l’histoire, le régime de Vichy, le passé collaborationniste de la France, les résistants juifs communistes des FTP-MOI. Ils me répondent : « Mais pourquoi aujourd’hui tout le monde n’est pas traité de la même manière ? »

Quand je travaillais en tant qu’éducateur dans ma ville, j’avais emmené des jeunes français de confession musulmane dans une synagogue parisienne pour qu’ils rencontrent d’autres jeunes de leur âge. Cette rencontre avait été un succès, elle avait permis des « deux côtés » de comprendre qu’ils partageaient beaucoup de choses en commun. Beaucoup plus que ce qu’ils avaient l’habitude d’entendre. Ce n’est pas une surprise : après tout, ils vivent dans le même pays, écoutent les mêmes musiques, ont les mêmes rêves.

Cette visite à la synagogue avait été mal perçue par quelques habitants de ma ville. En pleine seconde « Intifada » (NDLR : soulèvement ) en Palestine, ils nous avaient reproché d’avoir porté une kippa.

J’avais répondu que quand on entre dans une mosquée, on enlève ses chaussures, dans une synagogue, on met une kippa. J’avais répondu surtout qu’il ne fallait pas tout confondre : être Juif ne signifie pas être en accord avec la politique israélienne d’occupation et de colonisation. Il y a autant d’individus que de points de vue.

Déjà il y a plus de cinquante ans, en 1967, dans un texte publié dans Haaretz, des personnalités israéliennes écrivaient : « Notre droit de nous défendre contre l’extermination ne nous donne pas le droit d’opprimer les autres. L’occupation entraîne une domination étrangère. Une domination étrangère entraîne la résistance. La résistance entraîne la répression. La répression entraîne le terrorisme et le contre-terrorisme. Les victimes du terrorisme sont en général des innocents. La mainmise sur les territoires occupés fera de nous des assassins et des assassinés. Sortons des territoires occupés maintenant !»

Je connais énormément de Juifs qui sont meurtris par ce qu’il se passe à Gaza en ce moment où en cinq mois, 30 000 personnes, en majorité des femmes et enfants ont été tués. Un bilan vertigineux qui serait sous-estimé selon les ONG sur place parce qu’il ne prend pas en compte celles et ceux qui ont été pris au piège des décombres, ni ceux qui succombent aujourd’hui à la maladie, à leurs blessures, à la malnutrition, au froid, aux conditions de vies atroces des réfugiés.

Comme l’a écrit dans une tribune publiée par Le Point il y a quelques jours la journaliste Anne Sinclair, pourtant peu connue pour ses prises de position pro-palestiniennes, « le calvaire des mères ou des vieillards, la mort et la mutilation des enfants ne peuvent nous laisser, nous, juifs, indifférents et silencieux. Il est temps que cela s’arrête. Rien au monde ne peut venger les atrocités du 7 octobre, et en tout cas pas l’écrasement et la famine d’une population civile ».

Les pouvoirs politiques dénoncent souvent l’importation du « conflit israélo-palestinien » en France par la gauche mais qui assimile les Juifs de France à ce qu’il se passe au Proche-Orient ? Qui les assimile à la politique coloniale d’Israël, si ce n’est certaines associations communautaires, certaines figures politiques ou médiatiques qui prétendent parler au nom de tous les Juifs de France ?

Il y a une quinzaine d’années, quand je travaillais à France Télévisions, je répétais à mes collègues qu’il nous revenait à nous journalistes de nous emparer de la question israélo-palestinienne. En faire une question taboue, c’est donner un boulevard aux complotistes et aux antisémites en tout genre. Il est grand temps de revenir au débat politique, arguments contre arguments. Quitte à s’énerver, se disputer et même se fâcher. Comme le font toutes les familles…

 

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Nadir Dendoune