Palestiniennes : le choix du sacrifice ultime

 Palestiniennes : le choix du sacrifice ultime

Des écolières palestiniennes brandissent des pancartes sur lesquelles figure le portrait de la kamikaze Wafa Idris lors de ses funérailles symboliques à Ramallah, le 31 janvier 2002. (crédit photo : Jamal Aruri/AFP)

Qu’elles prennent les armes, glorifient la mort de leurs martyrs – maris, frères, enfants –, ou commettent des attentats-suicides, les Palestiniennes ne sont pas à l’écart de la violence qu’induit la situation coloniale. Analyse de leurs discours et engagements.

Par Hanane Harrath

Le 27 janvier 2002, Wafa Idris, jeune infir­mière palestinienne de 27 ans, se fait exploser dans une artère fréquentée de Jérusalem-Est, tuant un homme et bles­sant des dizaines d’autres. Ce jour-là, elle devient la première femme palestinienne kamikaze à donner sa vie à la lutte contre Israël. Le matin même, Yasser Arafat avait fait un discours à Ramallah, appelant les femmes à “se sacrifier, comme elles ont toujours su le faire pour leurs familles, afin de li­bérer leurs maris, leurs pères et leurs fils de l’oppression”. Dans la foulée de Wafa Idris, saluée alors comme une héroïne, 67 Palestiniennes ont commis ou tenté de commettre des attaques suicides contre Israël entre 2002 et 2006, selon Yoram Schweitzer, du Center for Strategic Studies de Tel Aviv.

Selon l’enquête, Wafa Idris n’avait aucun contact avec une quelconque organisation politique, même si les brigades d’Al-Aqsa, branche armée du Fatah, avaient revendiqué l’attentat. Elle soignait, au Croissant-Rouge, des jeunes Palestiniens touchés lors des mani­festations de la seconde Intifada et était ébranlée par la violence de la répression. D’autres kamikazes, en re­vanche, étaient affiliées à des mouvements de résis­tance, comme Reem Al-Riyashi, mère de deux enfants, auteure d’un attentat-suicide le 14 janvier 2004 qui a tué quatre soldats israéliens et fait plusieurs blessés à un point de passage entre Israël et la bande de Gaza, dont elle était originaire. “J’ai toujours voulu être la pre­mière femme à commettre un attentat martyr, où des par­ties de mon corps peuvent être éparpillées. C’est le seul voeu que je demande à Dieu”, expliquait-elle dans une vidéo tournée quelques jours auparavant.

Palestiniennes : le choix du sacrifice ultime
Reem Saleh Al-Riyashi, ici avec son fils de 3 ans, s’est fait exploser le 14 janvier 2004 au principal point de passage d’Erez entre Israël et la bande de Gaza, tuant au moins quatre Israéliens et en blessant sept autres. (crédit photo : Musa AL-SHAER/Khaled Abu Ajamieh/AFP – Hamas/HO/AFP)

Elle est la première affiliée au Hamas à commettre une telle at­taque, répondant ainsi à l’appel du guide spirituel du mouvement, cheikh Ahmed Yassine. “La guerre sainte est une obligation pour tous les musulmans, hommes et femmes. C’est une indication que la résistance continue­ra”, avait-il déclaré dans un entretien accordé au quo­tidien Asharq Al-Awsat, le 2 février 2002.

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Au ban de la société

Ces types de violences extrêmes, qui ont entraîné dans leur logique un certain nombre de Palesti­niennes, sont surtout nés après la deuxième Intifada. Auparavant, les femmes étaient engagées dans les mouvements de résistance et dans la lutte armée ; l’une des plus célèbres étant Leïla Khaled, membre du Front populaire de libération de la Palestine (fondé en 1967 et classé organisation terroriste par les Etats-Unis, Israël, l’Union européenne, le Canada…). Elle fut la première à participer, en 1969, à un détournement d’avion reliant Los Angeles à Tel-Aviv.

Des chercheuses et journalistes ont tenté d’analyser les motivations de ces femmes. Pour certaines, comme Lucy Frazier (Abandon Weeping for Weapons: Palestia­nian Female Suicide Bombers, 2002) ou Mia Bloom (Dying to Kill: The Allure of Suicide Terror, 2005), les Palestiniennes cherchent à sortir des rôles subalternes qui leur sont octroyés dans la lutte de libération et à être les égales des hommes en prenant les armes ou en s’appropriant la violence, traditionnellement assi­milée à ces derniers. D’autres, comme Barbara Victor, une reporter de CBS interpellée par le sacrifice de Wafa Idris et auteure en 2002 d’un livre sur le sujet (Shahidas : femmes kamikazes de Palestine), dans lequel elle a retracé leur parcours familial et interviewé des leaders politiques et religieux, établissent qu’une grande partie d’entre elles étaient ostracisées par leur famille ou leur société. Wafa Idris, par exemple, avait été obligée de divorcer après avoir fait une fausse couche. Une autre avait eu un enfant hors mariage et a tenté de commettre un attentat-suicide afin de rache­ter son honneur.

Palestiniennes : le choix du sacrifice ultime
Des écolières palestiniennes brandissent des pancartes sur lesquelles figure le portrait de la kamikaze Wafa Idris lors de ses funérailles symboliques à Ramallah, le 31 janvier 2002. (crédit photo : Jamal Aruri/AFP)

Quand elles ne perpétuent pas elles-mêmes des actes de violence, certaines cultivent le culte du sacrifice et du martyr, de leurs frères, leurs maris, et même de leurs progénitures. “Nous apprenons à nos enfants, dès leur plus jeune âge, à ne pas avoir peur. Nous leur disons que cette terre est la leur, qu’ils doivent la défendre, qu’ils ne sont pas des victimes de l’occupation, mais des héros qui luttent pour leur liberté. Ils doivent se battre pour leurs droits, quel que soit le moyen de la lutte”, confie Nariman Tamimi, la mère de Ahed, la jeune fille qui avait giflé, à l’âge de 16 ans, un soldat israélien adossé au mur de sa maison. En même temps, cette activiste voit ses enfants “partir le matin avec la crainte que l’un d’eux ne revienne jamais, qu’il meure en martyr alors qu’il est en route pour l’école, pour le travail, ou même juste pour aller chez le voisin. C’est une angoisse avec laquelle nous, mères palestiniennes, vivons chaque jour.”

Un fort enjeu social

Née au Koweït mais d’origine palestinienne, la chan­teuse Mais Shalash glorifie même ces héroïnes et ces héros dans ses chansons, notamment dans son album Khansae, où elle met en scène une mère accompa­gnant avec abnégation et fierté son fils vers le martyr. Certaines sont non seulement prêtes à encourager ou accepter leur sacrifice, mais en tirent même un hon­neur. Car quatre enjeux président à cette martyrolo­gie : un enjeu patriotique, qui apporte gloire à celui ou celle qui accepte de tomber pour libérer la terre ; un enjeu spirituel, puisque le martyr accède à la vie éter­nelle et au paradis ; un enjeu économique, car les orga­nisations auxquelles le martyr est rattaché prennent en charge les besoins de la famille ; enfin et surtout, un enjeu social très puissant, car non seulement le martyr devient une source d’inspiration, mais les mères ou épouses en tirent une source de reconnaissance so­ciale très forte. Elles sont respectées et honorées pour avoir “offert” un homme à la cause. On les remercie d’avoir accepté, elles, de se priver d’un proche. De quoi nourrir le désir de mimétisme chez les autres.

Voir le dossier du mois : Palestiniennes, pasionarias malgré elles

La rédaction