Sabah Kaddouri : Une plume aiguisée chez les riches

 Sabah Kaddouri : Une plume aiguisée chez les riches

crédit photo : Yanina Kaufman

En ces périodes de baisse du pouvoir d’achat, les ultra-riches, les politiques et les grands patrons sont les cibles idéales de toutes les critiques. Passée par le lobbying, Sabah Kaddouri, cheffe de rubrique du prestigieux magazine Forbes France, casse certaines idées reçues autour d’un monde inatteignable pour la majorité.

Alors qu’ils subissent de plein front l’inflation, les Français sont particulièrement atteints par l’indécence de politiques qui outrepassent leurs droits ou d’ultra-riches capables d’acheter des objets de luxe valant une vie de salaire. Et pourtant, il s’agit d’un tableau un peu simpliste que vient corriger la cheffe de rubrique du magazine Forbes France, Sabah Kaddouri. « On peut diviser les héritiers en deux catégories : les imbuvables qui jouent de leurs noms et passe-droits et ceux dont les noms les obligent. Les deuxièmes sont exemplaires. Leur objectif est la préservation d’un patrimoine centenaire. Enfin, il y a ceux qui commencent de zéro et s’élèvent pour devenir riches. Ils ont souvent un bagage de blessures. Ils savent résister aux attaques des personnes qui les découragent ou pensent que leurs rêves sont trop grands pour eux.»

Un plafond de verre « inexplicable »

Dans un duplex de l’Hôtel de Pourtalès, cette gracieuse femme au port altier revient sur la notion de luxe en désignant des canapés créés par un assemblier de père en fils, JGS Décoration. « Ces objets ont permis à un vendeur de biens de valoriser son appartement. Quand on achète du luxe, on prend un bout d’une entreprise qui a dépassé les révolutions, les guerres mondiales et les changements de tendance. Elles sont le révélateur d’une résilience, un gage de qualité qui leur donne ce statut de prestige. Bien sûr, les réseaux sociaux ne montrent que le côté star ! Pourtant, derrière ces objets, il y a des milliers d’heures de travail que j’aime raconter.»

Lyonnaise de naissance, Sabah Kaddouri a vécu à proximité de la capitale des Gaules dans une famille modeste de 8 enfants. « Mon père, ouvrier chez Rhône Poulenc a subi le plafond de verre contre la communauté maghrébine, se souvient Sabah. Il nous a transmis que personne ne pourrait nous retirer notre parcours scolaire. Ma mère, de son côté, a toujours souhaité que nous nous accomplissions tant dans nos vies professionnelles que familiales. Même si nous étions modestes, elle a eu à cœur de nous apprendre à aimer le beau et le raffinement.»

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La volonté d’une stratège

Rêvant dés son plus jeune âge de monter à la capitale, de parler anglais et de voyager, elle va très vite franchir le pas après un bac littéraire et deux ans d’études. Happée par le dynamisme de la ville lumière, elle occupe un poste d’assistante de Guillaume Beaumont, alors directeur des affaires publiques chez GDF-Suez (actuel Engie, ndlr). S’ouvre à elle un monde fait de lobbying, de politiques et de gros sous. « J’ai eu la chance de travailler aux cotés d’un patron, incarnation de la bourgeoisie française de droite mais qui a toujours eu à cœur de m’expliquer les rouages de ce monde. Avec les groupes internationaux, vous sentez le pouvoir. On rencontre des présidents, des chefs d’Etats. J’aimais prendre des responsabilités et mon chef trouvait cela pertinent, même venant de son assistante franco-algérienne.»

A ses côtés pendant 4 ans, elle y apprend les codes. Elle découvre aussi les ors de la République (Elysée, Assemblée Nationale, Sénat, etc..), leurs pouvoirs et les négociations qui s’y passent. Fine stratège, elle voit un univers où se négocie des gros contrats. « La France est un pays latin où l’entre soi joue un rôle important. On y pratique la diplomatie culinaire. Les deals et discussions se font à table. Pour les Américains plus pragmatiques, cela se passe au golf ou dans les country club. En Suisse, ce sont des chemins de vie qui s’illustrent dans des écoles où il faut inscrire son enfant dés la maternelle pour avoir le bon réseau. Pour les pays du Golfe, les évènements sportifs ont leur importance. Dans ces moments de convivialité, le sport devient secondaire et on parle business. »

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L’amour de la plume

Après une rencontre avec un journaliste du Figaro, Sabah Kaddouri se lance le défi d’avoir un Master 1 à l’EFAP. Pas facile de reprendre le chemin de l’école surtout quand on est maman depuis peu. « Je ressentais le gap générationnel du nouveau monde des réseaux sociaux (Instagram, Tiktok, etc..). Le monde changeait et je voulais y prendre part. » Major de sa promotion, son stage au Figaro lui fait découvrir un monde cloisonné où la guerre des egos fait rage pour des paroisses de secteurs médiatiques. Active et force de propositions, elle comprend aussi qu’il faut adhérer à la ligne éditoriale qui est en train de changer au sein du quotidien avec l’apparition des Zemmour, Thréard, etc..

Fin 2016, elle postule au site d’informations et trimestriel, Forbes, « une marque qui fait autorité ». L’arrivée du média américain va changer la vie de Sabah Kaddouri qui peut parler luxe, lifestyle et business entrepreneurial. « En France, on a du mal à parler argent. Le magazine s’est lancé avec l’émergence d’un nouveau candidat qui avait le discours décomplexé sur la start-up Nation. » Son poste au sein du magazine d’influence change aussi le regard porté sur elle. « Il m’est déjà arrivé d’avoir des remarques de lecteurs sur mon nom ou le sujet traité au Figaro. Je n’ai jamais eu ce problème à Forbes. Toutes les personnalités veulent en être. Faire partie de ce magazine implique une grande responsabilité. Le magazine est lu par les grands décideurs. On peut influer un cours de bourse ou contribuer à l’avènement d’un chef d’entreprise. Même au Mozambique, on connaît Forbes mieux que l’Express ou L’Obs.»

A bas le syndrome de l’imposteur !

Avec son œil aiguisé, Sabah Kaddouri arrive à nous éclairer sur les préjugés que l’on peut avoir sur la richesse et l’entreprenariat. Travailleuse acharnée, elle met aussi un point d’honneur à traiter la question des femmes dans un monde du business plutôt masculin. « Les femmes ont un dénominateur commun : le syndrome de l’imposteur. Leur légitimité est toujours remise en cause, même par des femmes. Pour réussir, il faut aussi qu’elles soient plus actives dans leurs networking. Dans un réseau masculin, il va y avoir de l’audace pour faire du win-win en affaires. Les femmes sont plus dans la réserve. Elles souffrent de leur auto-jugement qui les pénalise. Par contre, j’ai pu observer qu’à 50-60 ans, elles ont accompli leurs vies de famille et libèrent leur plein potentiel. »

Adepte de yoga, cette maman solo a aussi trouvé son équilibre entre ses moments de « Cendrillon » dans les plus beaux endroits de la terre et son cocon familial avec son fils à Lyon.

Yassir Guelzim

Yassir GUELZIM

Journaliste Print et web au Courrier de l'Atlas depuis 2017. Réalisateur de documentaires pour France 5.