Coronavirus – Le Maroc d’après

 Coronavirus – Le Maroc d’après

Rabat


On ne va pas revenir sur « les jolis coups » que le Maroc a asséné au fameux virus, la réactivité d’un royaume qui n’a pas attendu le pic de la vague pour décider un confinement drastique, on ne rappellera pas combien cette bouée de sauvetage décidée par le roi dans la mise en place d’un fond de solidarité a été bénéfique aux PME et aux ménages démunis, comme on ne reviendra guère sur l’exemplarité des hommes en uniforme, transformés en « nounous » et qui ont remisé la matraque pour la bienveillance.


Tout cela est louable, on réussira à sauver bien des vies humaines parce que le royaume n’a pas les moyens de faire face à une pandémie à l’italienne. Mais à quelques encablures de la fin du confinement, il est déjà temps de penser à l’après Corona, parce qu’il y aura bien un avant et un après Corona. On a vu l’avant, on est rentré de plain-pied dans le marécage des transmissions, le nombre de morts reste ridicule par rapport aux voisins du nord, le confinement a montré qu’en plus des principes de précaution, il a touché de plein fouet (sans mauvais jeu de mots) les industries « du péché », plus de bars pour se saouler à mort et partir ensuite à toute vitesse , semer la mort sur les routes, les maisons de jeu où se désagrègent les familles sont fermées, la prostitution reste impossible et la pollution a été remplacée par une propreté inouïe et même les poubelles sont vides.


L’avant et l’après Corona


Aujourd’hui que le coronavirus a stoppé net les détournements des deniers publics, que le confinement empêche désormais corrompus et corrupteurs de faire circuler allègrement les dessous de table, que la crise sanitaire a mis à nu l’incurie de partis politiques tétanisés et paralysés par une situation inédite, que les Cassandre qui attendaient comme des vautours que le régime soit mis à terre par d’hypothétiques révolutions ont ravalé leur langue, que de grosses gueules comme le prince My Hicham sont rentrées en catastrophe au Maroc pour fuir le virus comme ces centaines de vulgaires harragas qui font désormais le voyage à rebours pour fuir l’Espagne et l’Italie ; aujourd’hui, l’heure est trop grave pour attendre que la tempête se soit assagie pour reprendre les mauvaises habitudes. Cette insignifiante chose a ébranlé toutes les certitudes, elle impose désormais une remise en cause radicale, si cette crise va affecter profondément la sphère politique, économique et sociale, elle ira sans doute bien au-delà. Comment résoudre une crise d’une telle ampleur (je ne parle plus de la crise sanitaire, passé le pic, elle sera derrière nous) sans s’attaquer aux nœuds gordiens de notre société, aux comportements d’une classe économique et politique prédatrice, à la perte de crédibilité des dirigeants, à la crise de confiance qui accompagne ces postures arrogantes ?


En quoi cette crise inédite que traverse le monde nous sera-elle salutaire (à moins de nous emporter dans les tourbillons de lendemains incertains) ?


Le choc des réalités


Le choc du coronavirus intervient à un moment clé de l’histoire du royaume, à l’heure où c’est l’ensemble de notre modèle de société qui est en crise, au sens où les marocains, peuple et élites ne savent plus où se situer dans l’Histoire et semblent avoir abandonné l’idée généreuse de construire un monde commun. Sommes-nous en mesure de faire tomber les masques en nommant les choses telles qu’elles sont, pour ensuite proposer des pistes pour une nouvelle renaissance ou bien attendons-nous juste le passage de la tempête pour revenir à nos néfastes habitudes ? Tout d’abord, la parole doit être confisquée aux amateurs de langue de bois, ces pseudos experts, ces faux messies à la barbe longue et à la langue fourchue, ceux qui ont berné le petit peuple aussi longtemps. Les meilleures recettes ne se font plus dans les vieilles marmites, à situation inédite, mesures exceptionnelles. Ce n’est pas pour rien que déjà dans les années 60, Hanna Arendt mettait en garde contre le fait que « La crise générale qui s’est abattue sur tout le monde moderne et qui atteint presque toutes les branches de l’activité humaine se manifeste différemment suivant les pays. Mais une chose est sûre : Une crise ne devient catastrophique que si nous y répondons par des idées toutes faites, c'est-à-dire par des préjugés. »


Crise de gouvernance, il va falloir revoir le système politique actuel, calqué sur celui de l’ancien colon, la France. Un système caduc où des élites corrompues se bousculent pour bénéficier de passe-droits. D’ailleurs, au passage, il faudra se libérer des boulets imposés par l’ancien colon. Pour ceux qui ne l’ont pas encore compris, l’Europe, la France ne sont plus des grandes puissances, elles n’ont plus rien à nous apporter, si jamais tel était leur souhait. L’occident a donné à l’humanité tout ce qu’elle a de plus beau mais il semble avoir tout donné. L’histoire est cruelle, elle ne pardonne pas aux perdants, perdrons-nous encore plus de temps à nous accrocher aux chimères d’un occident qui coule sous le regard moqueur de la Chine et de la Russie ? On peut estimer que l’Europe s’est bien remise de son passé colonial mais le Maroc, lui, ne s’est jamais remis de son traumatisme colonial, la preuve : Sebta et Melilla, sans oublier l’épine du Sahara.


Résilience et reconstruction


Comme sortie de la crise sanitaire, il faut bien sûr remettre l’humain au cœur  des dépenses qui visent à permettre des changements concrets et rapides pour construire le monde d'après. Ça concerne l’éducation, la santé mais bien d’autres choses encore, ne fut-ce que pour rester sur ce vaste élan de solidarité pour instaurer définitivement un partage plus équitable des richesses. Car force est de constater qu'en pleine crise, de nouveaux élans d'unité ont soudé les marocains. En ces temps difficiles , il y a aussi l’apparition de nouvelles boucles de solidarité entre les élites et le petit peuple. Après la levée du confinement, « la hogra » ne devrait plus avoir droit de cité dans ce pays. On ne veut plus voir « ces grands voleurs » qu’ils soient députés ripoux, barons de la drogue, politiciens véreux, profiteurs de la rente ou simples nouveaux riches à la fortune douteuse narguer le pays dans leurs limousines de luxe. Sans oublier les traitres à la nation, ceux qui n’hésitent pas à jongler avec leur double voire triple nationalité pour virer le fruit de leur rapine à l’étranger. Tolérance zéro envers les salauds du royaume. Et il y en a encore beaucoup trop.


Pour les autres, les opérateurs économiques honnêtes, ceux que l’on saigne parce qu’ils refusent de passer à la caisse, il faudra non seulement les épauler mais en plus les aider par des actions concrètes à surmonter une crise économique inédite. Il faut redonner confiance aux gens honnêtes dans ce pays, leur faciliter l’accès à la prise de décision, il y en a encore mais ils sont écrasés par l’immense majorité des ripoux.


Pour ce qui est de la politique politicienne, des spécialistes de la machine électorale, des gourous partisans et les vendeurs de rêves, là aussi, il y à boire et à manger. Aujourd’hui que le pays a besoin d’eux, ils sont aux abonnés absents, auront-ils l’arrogance de revenir sur le devant de la scène ? On ne leur souhaite pas une telle humiliation.


Bref, avant d’affronter avec lucidité les séismes de l'après-coronavirus, s'y préparer dès aujourd'hui, l’efficacité est la loi générale de la politique, et cela on semble l’avoir oublié. Le propre d’une crise, c’est de faire émerger l’incertain. Or, nous ne voulons pas que cet incertain se décline en révoltes, émeutes, grèves ou tout simplement dépression économique, sociale et psychologique.


En tout cas, voilà une occasion inouïe de rattraper les erreurs du passé, de trancher entre le nécessaire et l’éphémère.


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Abdelatif Elazizi