Picasso, sa Méditerranée vécue et rêvée

 Picasso, sa Méditerranée vécue et rêvée

crédit photo : RMN-Grand Palais/Mathieu Rabeau


Le musée national Picasso-Paris présente cet été une exposition rappelant l’empreinte du bassin méditerranéen sur l’artiste et son œuvre. De la Côte d’Azur à l’Espagne en passant par le Maghreb, une région qu’il n’a jamais connue mais qui l’a profondément inspiré. 


Historique. “160 millions d’euros en onze minutes d’enchères pour Les Femmes d’Alger, de Picasso. Ça s’est passé chez Christie’s, à New York.” C’était en mai 2015, les journalistes du monde entier s’ébahissaient devant ce qui était, alors, la vente du tableau le plus cher de l’histoire. Pourtant, ironie, “Picasso n’a jamais mis les pieds au Maghreb”, affirme Camille Frasca, la commissaire de l’exposition “Picasso, obstinément méditerranéen”, qui se tient à Paris, jusqu’au 6 octobre, au musée Picasso, fabuleux monument du Marais récemment rénové.


La muséographie s’empresse d’ailleurs de lever le doute : dès l’entrée de l’exposition, sur une carte, les pays du bassin méditerranéen s’illuminent en rose ou en bleu, périodes et couleurs clés du peintre. Le texte indique “pays vécu” pour le bleu et “pays rêvé” pour le rose. Côté Maghreb, c’est bien rose…


Mais alors, comment Picasso s’est-il inspiré du ­Maghreb malgré tout, jusqu’à réaliser une toile mettant en scène des femmes d’Alger ? En face de la carte, les deux éphèbes très ­modernes de La Flûte de Pan, peints à Antibes en 1923, célèbrent la mer, si belle, spacieuse, silencieuse, joyeuse, propice aux ébats. Des images du Caire apparaissent plus loin. “En réa­lité, Picasso a très peu voyagé, précise Camille Frasca. Son Maghreb, il se l’est forgé avec les nombreuses cartes postales que lui envoyaient ses amis, leurs lettres, les livres. On en a retrouvé plein !”


 


La mer, toujours et encore


Né en 1881, Pablo Picasso est un héritier des orien­talistes. Ses Femmes d’Alger (la version dite “O”, rachetée en 2015, date de 1955), sont un hommage aux Femmes d’Alger dans leur appartement, d’Eugène ­Delacroix (1834). Il puise aussi sa connaissance de l’Orient dans les œuvres de Jean-Auguste-Dominique Ingres.


L’exposition accorde une place majeure aux lieux que l’auteur de Guernica fréquente dès les années 1910 : l’Espagne et la Côte d’Azur – Antibes, Cannes, Vallauris, Mougins (une grande photographie de ­Picasso sur la plage de cette commune, prise par sa compagne Dora Maar,* accueille d’ailleurs les visiteurs), ou encore Juan-les-Pins.


Son désir de mer est peut-être le plus fougueux de tous. Il la représente à foison, au crayon, à l’encre, en peinture… Elle n’est pas forcément bleue, les barques ne voguent pas toujours sur l’eau, et les baigneurs (en haut, page ci-contre) ne batifolent pas nécessairement dans les vagues. Mais la mer est omniprésente, au moins symboliquement. Dans La Baie de Cannes (page ci-contre), elle glisse dans les lignes. Avec ses motifs simples et archaïques et ses couleurs telluriques, la Tomette découpée et décorée en forme de chouette (1957) rappelle l’animalité des bords de mer.


Autre indice reliant Picasso au Maghreb, la présence sur le biscuit du dessin Nature morte au biscuit (1914) de la marque Sultane en lettres majuscules…


 


Un artiste “rythmiquement arabe”


“Le lien de Picasso avec Djamila Boupacha est aussi fondamental, souligne Camille Frasca. Il était engagé avec les communistes, il a rejoint le groupe des défenseurs de cette militante.” Adolescente engagée, cette dernière rejoint le Front de libération nationale algérien en 1955 et s’apprête à poser une bombe dans un bistrot quand elle est capturée. Les militaires français la torturent, mais un groupe d’intellectuels français veut la sauver. Picasso a fait son portrait, qui accompagne le plaidoyer de Simone de Beauvoir et Gisèle Halimi, paru en 1962, pour lui éviter la guillotine.


Au-delà d’un clin d’œil à Delacroix, Les Femmes d’Alger avait aussi, sans nul doute, une portée politique. Le Maghreb a animé l’artiste. Ce qui n’a pas échappé à Apollinaire, qui eut ces mots : “Picasso s’est vu latin moralement, plus arabe rythmiquement” ? 



Picasso, obstinément méditerranéen, jusqu’au 6 octobre, au musée national Picasso-Paris, 

La rédaction