« Front de Mères » : pour lutter contre les discriminations dont sont victimes les enfants des quartiers populaires à l’école

 « Front de Mères » : pour lutter contre les discriminations dont sont victimes les enfants des quartiers populaires à l’école

Fatima Ouassak coorganisatrice de la première édition de « Front de Mères » qui aura lieu mercredi 24 mai


Diariatou Kebe et Fatima Ouassak, habitantes des quartiers populaires, sont très inquiètes pour l'avenir de leurs enfants. Elles écrivent : "Parents noirs, arabes et musulmans, parents habitant les quartiers populaires, êtes-vous sereins quand vous confiez vos enfants à l’école le matin ? Êtes-vous rassurés à l’idée qu’ils y passent l’essentiel de leur vie ? Nous sommes, pour beaucoup d’entre nous, inquiets voire angoissés dès qu’on évoque l’école". Elles ont donc décidé de réagir.


Ce mercredi 24 mai, de 9h à 19h, elles organisent la première édition de "Front de Mères" (La Parole Errante, 9, rue François Debergue – 93100 Montreuil). Une journée d'échanges pour "réfléchir à un plan d’actions concrètes, s'organiser au niveau local et avoir ainsi une plus grande place au sein de l'école". Fatima Ouassak nous explique en détail en quoi consiste cette initiative.


LCDL : Pourquoi avoir lancé Front de Mères ? 



Fatima Ouassak  : Parce que nous sommes des parents (des mamans), parce que nous aimons nos enfants, et que surtout nous sommes confrontées à la stigmatisation et aux discriminations qu'ils subissent à l'école. Avec d'autres mamans, nous avons la même expérience : à l'école, et en réalité dès la crèche, nos enfants ne sont pas traités à égalité.


L'école leur renvoie dès le plus jeune âge qu'ils n'ont pas la bonne couleur de peau, quand elle est foncée, pas la bonne texture de cheveux quand ils sont frisés ou crépus, pas la bonne langue maternelle quand c'est une langue de l'immigration post-coloniale, pas la bonne religion quand il s'agit de musulmans. Nos enfants subissent des programmes scolaires où les peuples dont ils sont issus sont infantilisés, diabolisés ou invisibilisés. Ainsi jour après jour, année après année, ils apprennent à avoir honte de ce qu'ils sont.


Par ailleurs, la plupart des écoles que nos enfants fréquentent n'ont pas les moyens de fonctionner correctement, avec des enseignants mal formés, peu remplacés quand ils sont absents. Avec également parfois  des enseignants missionnaires qui partent en croisade contre une jupe jugée trop longue, ou un début de barbe jugé suspect.


Notre expérience c'est aussi que nous, parents, sommes souvent infantilisés, humiliés et sermonnés par le personnel enseignant, devant nos enfants, l’accent d’immigré-e et/ou le foulard venant aggraver encore le mépris à notre égard. Nos petits apprennent à l'école à avoir honte de leurs parents. Comment accepter que nos enfants soient ainsi brisés à l’école ? 


C'est à partir de ces constats, de notre expérience de parents qui ne veulent plus se contenter de stratégies individuelles (choix de l'école privée, déni, acceptation de l'assimilation forcée, « quand on veut on peut », etc.) que nous avons décidé de nous organiser dans ce Front de mères, collectivement et politiquement, en tant que parents.


A qui s'adresse cette journée ? 



Cette journée est une journée  d'échanges, d'abord entre parents, pour qu'ils puissent s'organiser au niveau local. C'est très important : nous ne cherchons pas à former des gens sur le racisme… Nous avons surtout besoin d'être mis en réseau, nous avons besoin d'échanger sur nos expériences, de construire des stratégies collectives communes. Nous avons besoin de faire bloc, de faire masse, pour imposer qu'on ne brise plus nos enfants à l'école. 

Cette journée d'échanges s'adresse également aux professionnels qui travaillent en lien avec l'éducation des enfants, éducation nationale, éducation populaire, associations, etc., pour bâtir ensemble des stratégies collectives. 

Elle s'adresse enfin aux militants qui luttent pour l'égalité et la justice. Car notre démarche, même si elle concerne spécifiquement le sort de nos enfants, s'inscrit plus largement dans cette méme lutte de libération des habitants des quartiers populaires. 



En quoi est-elle différente de ce qui se fait habituellement ? 



Les habitants des quartiers populaires, les Noir-es et les Arabes, se sont toujours battus pour leurs enfants. Nous voulons inscrire notre démarche dans la lignée des mouvements politiques de l'immigration, que nous revendiquons pleinement, auxquels nous rendons hommage, et surtout qui nous servent de modèles. Là où il y a quelque chose de nouveau peut-être, c'est que pour lutter contre le système raciste, nous nous organisons politiquement dans un espace national en tant que familles, en tant que parents.


Auparavant, ce n'était pas la famille que nous mobilisions comme ressource politique contre les violences et discriminations racistes. Si nous avons été amenées à nous organiser ainsi, c'est que dans les collectifs locaux dans lesquels nous militons, les marges de manœuvre sont très limitées, le système y est très verrouillé, on vous laisse à peine vous organiser "pour le vivre-ensemble" ou "pour la diversité", et encore, même là dessus, on vous met des bâtons dans les roues !


Or nous savons que nous gagnerons contre le système raciste qui détruit nos enfants si et seulement si nous arrivons à imposer un rapport de forces politiques, en tant que parents, au national, avec ancrage local : espace national qui prend appui, et c'est indispensable, sur des collectifs locaux de parents, qui eux-mêmes peuvent prendre appui sur le national. Avec une mise en réseau de ces collectifs locaux. 



Au final, qu'espérez-vous de cette journée ?


Les personnes et collectifs qui auront participé à cette journée ressortiront de là, nous l'espérons, avec le sentiment d'avoir intégré une dynamique qui ne fait que commencer, avec un plan d'action, des pistes de travail, un calendrier. 

L'idée est vraiment de travailler sur des choses très concrètes : comment s'organiser en tant que parents au niveau local pour avoir une plus grande place au sein de l'école ; comment faire que ses enfants réussissent tout en ayant confiance en eux-mêmes, sans être aliéné ou honteux ; comment s'organiser pour transmettre sa langue maternelle à son enfant, même si on ne la parle pas/plus ; comment faire pour que ses enfants puissent avoir accès à des représentations positives et inspirantes auxquelles ils peuvent s'identifier ; comment s'organiser pour transmettre nos mémoires et nos luttes, dans quels espaces, avec quels outils ?


Du très concret donc, en nous appuyant sur les expériences des collectifs de parents qui sont nombreux, qui ont obtenu des victoires (qu'on ne connait pas assez), et qui vont pouvoir nous faire partager leurs expériences relatives aux réussites, aux échecs, aux freins, aux leviers, etc. Fatiha Damiche (figure emblématique du MIB, mouvement immigration banlieue), disait : « Les discriminations, les humiliations quand c'est contre nous, c'est pas grave, on a l'habitude… C'est quand ça vise nos enfants que ça nous fait mal ». C'est pour ça que nous sommes déterminées dans notre combat : c'est par amour pour nos enfants qu'on le fait. C'est pour eux que nous nous battrons jusqu'au bout. 


Propos recueillis par Nadir Dendoune


 


 

Nadir Dendoune