Frontière tuniso-algérienne : la vieille querelle de la « borne 233 » ressurgit

 Frontière tuniso-algérienne : la vieille querelle de la « borne 233 » ressurgit

Elyes Kasri

La dispute était presque tombée dans l’oubli. Elle refait surface aujourd’hui à la faveur d’un climat régional chargé et d’un message publié sur les réseaux sociaux par l’ancien ambassadeur tunisien Elyes Kasri.

En évoquant la « borne 233 », point de repère frontalier entre la Tunisie et l’Algérie, le diplomate a ravivé un vieux contentieux hérité de la période coloniale, accusant Alger d’avoir « spolié » son voisin de près de 20 000 km² riches en ressources naturelles.

Cette polémique, longtemps cantonnée aux archives historiques et aux cercles diplomatiques, réapparait ainsi quelques jours seulement après le vote, aux Nations unies, d’une nouvelle résolution liée au dossier du Sahara marocain. Le timing n’a pas échappé aux observateurs : dans un contexte où les questions de frontières redeviennent sensibles au Maghreb, la sortie de Kasri a eu l’effet d’un pavé dans la mare.

 

Un litige vieux d’un siècle

Le cœur du différend remonte aux premières décennies du XXᵉ siècle. Entre 1910 et 1970, les autorités coloniales puis post-indépendance ont successivement redéfini le tracé de la frontière tuniso-algérienne. C’est au cours de cette période que la Tunisie aurait dû renoncer à une vaste zone désertique située entre les bornes 222 et 233, un territoire où furent identifiés, plus tard, des gisements pétroliers prometteurs. À l’époque, ces ajustements administratifs avaient alors été justifiés par le contexte politique, les rapports de force régionaux et les priorités stratégiques du moment. Mais pour Kasri, les engagements pris par Tunis auraient été obtenus dans des conditions déséquilibrées et auraient coûté cher au pays.

Aujourd’hui encore, le dossier reste entouré d’une chape de plomb de silence. Ni le gouvernement tunisien ni les autorités algériennes n’ont en effet réagi publiquement à cette résurgence de la polémique. Les actuelles relations entre les deux voisins, étroites mais parfois traversées de tensions discrètes, ne laissent guère de place aux débats frontaliers. Toute remise en question du tracé établi pourrait, de ce fait, ouvrir une boîte de Pandore diplomatique et raviver d’autres revendications dans la région.

Pour certains spécialistes, la sortie de l’ancien diplomate ne doit pas être interprétée comme une volonté institutionnelle de rouvrir un dossier classé, mais plutôt comme un rappel historique dans un contexte où les tensions frontalières sont scrutées avec attention. D’autres estiment, au contraire, que la question de la borne 233 pourrait prendre une dimension nouvelle si elle venait à être instrumentalisée dans le débat politique interne ou régional.

En l’état, le sujet reste sensible. Il touche à la souveraineté, à l’héritage de la colonisation et aux ressources naturelles, trois thèmes hautement inflammables au Maghreb. Si aucun des deux États ne semble vouloir rallumer cette querelle frontalière, la polémique relancée par Elyes Kasri montre que certains dossiers, même anciens, ne disparaissent jamais totalement. Au gré des conjonctures diplomatiques, ils peuvent toujours refaire surface — et rappeler la fragilité des équilibres frontaliers dans la région.

Ancien ambassadeur de Tunisie notamment à Seoul, New Delhi, Tokyo et Berlin, l’homme reste actif s’agissant des débats de société contemporains dans le pays, ses sorties ne passant jamais inaperçues.