Génétique : L’homme qui murmure à l’ADN

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« Essayer de comprendre le fonctionnement et l’existence des organismes ». Voilà comment Jamal Tazi, expert en génétique multiprimé, explique son métier aux néophytes. Mais derrière cette formule simple se cache un brillant parcours qui l’a mené du Maroc à Montpellier où il révolutionne aujourd’hui la recherche sur les maladies inflammatoires chroniques.
En 1978, baccalauréat en poche, ce jeune Rbati ambitionne de faire médecine mais ses notes ne lui permettent qu’une licence de sciences. Il s’y inscrit avec en tête l’objectif de bifurquer vers la pharmacie. La génétique entre dans sa vie presque par accident. Au détour d’un cours, un professeur lance : « L’ontogenèse récapitule la phylogenèse ». Traduction : le développement d’un embryon rejoue l’histoire évolutive de l’espèce avec une puis deux puis trois cellules qui fusionnent ou cessent de croître. Cette phrase agit comme un déclic. L’ADN, niché au cœur de la cellule, est la véritable source d’information de la vie.
En parallèle, cet étudiant curieux tombe sur un article dans Sciences et Vie affirmant que cet ADN peut être manipulé à volonté — une idée qui lui semblait jusque-là impossible. Si une professeure reste sceptique, un autre enseignant l’encourage à creuser cette piste et l’incite à poursuivre ses études de biologie moléculaire à l’université de Montpellier.
Il y fait alors une rencontre déterminante avec Philippe Janteur, un pionnier du domaine. Ce dernier deviendra son directeur de doctorat et mentor. D’abord concentré sur les mécanismes fondamentaux du vivant — de la mouche à l’être humain —, Jamal Tazi prend en 2002 un virage décisif en intervenant directement sur l’expression des gènes grâce à de petites molécules chimiques dans l’espoir de corriger certaines pathologies.
En partenariat avec des associations de malades et des fondations, son équipe identifie rapidement des molécules prometteuses. En 2007, l’une d’elles, capable de moduler les gènes du virus du SIDA, fait la une des journaux et lui vaut le prix de l’académie de médecine.
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De la recherche au médicament
Pour passer de la découverte au traitement, il fonde Splicos en 2009, puis Abivax en 2014, réalisant une levée de fonds record de 51 millions d’euros dans le secteur des biotechnologies françaises. C’est là qu’apparaît l’ABX 464, molécule capable d’induire l’expression d’un petit ARN à fort effet anti-inflammatoire. « L’annonce a surpris la communauté scientifique internationale, y compris plusieurs Prix Nobel, tant l’inflammation est impliquée dans de nombreuses maladies » souligne Jamal Tazi.
Depuis 2016, les essais cliniques sur l’homme avancent jusqu’à la phase 3, avec des résultats très positifs annoncés en juillet dernier. La nouvelle a fait bondir l’action Abivax, cotée au Nasdaq, de 520 %, et suscité un vif intérêt dans la communauté scientifique internationale. Et pour cause : « Un médicament potentiellement capable de soigner 40 millions de personnes est en vue », souligne le lauréat de la Médaille de l’innovation du CNRS en 2017. Sa mise sur le marché après les résultats de l’étude de maintenance est prévue pour le deuxième trimestre de 2026.
Au-delà de la performance scientifique, la plus grande satisfaction de Jamal Tazi reste de contribuer au soulagement de patients atteints de maladies inflammatoires chroniques. Une manière sans doute de réaliser son vieux rêve de devenir médecin. Par ailleurs, il revendique avec fierté son identité : « Cette découverte majeure, c’est un Marocain, un Arabe, qui l’a faite. On parle beaucoup d’Ibn Sina et autres scientifiques de l’âge d’or de l’Islam. Aujourd’hui, une communauté de scientifiques arabes apporte des contributions méritoires mais restent trop souvent dans l’ombre. »
