Othman Laraki, le génie du dépistage génétique

 Othman Laraki, le génie du dépistage génétique

crédit photo : Helena Price


A la tête de Color Genomics, une société spécialisée dans le diagnostic précoce du cancer, ce Marocain de 39 ans a fait partie du top management de Twitter et a aussi travaillé chez Google. En 2016, le roi du Maroc l’a honoré pour l’ensemble de son parcours. 


MAGAZINE NOVEMBRE 2017


La Silicon Valley est un peu son terrain de jeu. A 39 ans, Othman Laraki a un CV long comme le bras. Cet ancien directeur chez Twitter, né à Casablanca d’un père marocain et d’une mère française, a aussi travaillé chez Google pendant quatre ans, où il a été l’un des premiers à lancer le projet Google Chrome. Il s’intéresse peu à peu à la connexion entre génétique et informatique et fonde, en 2003, Color Genomics (la “génomique des couleurs”), une société spécialisée dans le diagnostic précoce du cancer du sein, de l’ovaire, de la prostate et du côlon, avec l’un de ses collègues de Twitter, Elad Gil. Color détecte les risques génétiques de cancers héréditaires, mais aussi d’hypercholestérolémie afin d’établir des plans de soins personnalisés.


La création de cette entreprise s’entremêle avec une histoire très personnelle. “Ma mère, qui vit au Maroc, a survécu à deux cancers du sein, raconte l’entrepreneur. Lors d’un dépistage, il y a une dizaine d’années, elle a découvert qu’elle était porteuse d’une mutation du gène BRCA2 (tout comme le BRCA1, il prédispose au cancer du sein, notamment, ndlr), et que cette dernière était à l’origine de ses maladies et aussi du cancer de ma grand-mère qui, elle, en est morte.”


 


Des tests salivaires ou sanguins, à domicile


Othman Laraki, qui n’a aucune expérience du monde médical, décide alors de développer la prévention des cancers au niveau mondial. Son but : rendre accessible au plus grand nombre les tests de détection génétique du cancer en réduisant les coûts. “Certaines femmes n’ont pas eu la même chance que ma mère. Des millions de personnes à travers le monde sont porteuses d’une mutation de ces gènes, et n’ont pas les moyens de le découvrir ni l’opportunité d’ajuster leur traitement”, regrette Othman Laraki. Si on parvient à accélérer l’étape de détection, on peut doubler les chances de survie”, espère-t-il.


A cette époque, Othman Laraki travaille encore chez Twitter. Elad Gil lui apporte un disque dur contenant des données sur un génome séquencé. Les deux hommes décident de lancer leur société, Color Genomics, en appliquant les principes de l’analyse des données à celle du génome humain.


Disponible sur le site de l’entreprise, le test génétique – salivaire ou sanguin – peut se commander à partir 140 pays pour la somme d’environ 225 euros, au lieu de 5 400 euros dans le milieu hospitalier. Une fois effectué à domicile, il doit être retourné par courrier à la société, qui procède à l’analyse.


 


Il côtoie les plus grands de la Silicon Valley


“Je souhaite que la population marocaine bénéficie de l’opportunité offerte par mon entreprise”, insiste Othman Laraki, qui reste très attaché à sa terre natale, “une partie fondamentale” de son identité. Parti de Casablanca à l’âge de 18 ans, le jeune Marocain poursuit ses études à l’université de Stanford (en Californie), où il obtient un bachelor et un master en informatique. Encore étudiant, il fonde en 1999 sa première entreprise spécialisée dans l’analyse de données pour les sociétés de communication qu’il dirige jusqu’en 2001. Il se tourne ensuite vers des études spécialisées dans la finance et intègre le Massachusetts Institute of Technology (MIT), où il décroche un MBA en ingénierie financière.


“C’est cette possibilité de créer des ponts d’un domaine à l’autre qui m’a attirée aux Etats-Unis. Ailleurs, j’avais l’impression qu’on avait une pression et qu’on devait absolument faire un choix : soit informaticien, soit scientifique, soit littéraire, souligne l’entrepreneur. Quand on lance une société dans la Silicon Valley, on s’imagine que les dirigeants vont être seulement compétents en informatique ou technologie, alors qu’une grande partie du travail consiste aussi à faire du relationnel et à élaborer un business model.”


En 2004, Othman Laraki intègre le géant de l’informatique Google en tant que Product Manager dans une ambiance familière : ses collègues sont ses camarades de Stanford, où il avait d’ailleurs croisé le fondateur de Google. Pendant quatre ans, il côtoie le gratin du monde informatique comme Marissa Mayer, actuel PDG de Yahoo!, pour qui il a également travaillé, et Sundar Pichai (PDG de Google).


 


Décoré à la Fête du trône


A tout juste 30 ans, il lance Mister Lab, une société de géolocalisation qui va intéresser un autre mastodonte de la Silicon Valley : Twitter. Très intéressé par l’application créée par Othman Laraki et un de ses collègues, le géant des réseaux sociaux achète la société en 2009, et le jeune marocain fait son entrée à Twitter en tant que vice-président Product Management. Il y reste trois ans, avant de fonder Color Genomics.


Le 30 juillet 2016, à l’occasion de la Fête du trône, Othman Laraki a été décoré avec 30 autres personnalités par le roi du Maroc pour l’ensemble de son parcours. “C’était un peu irréel. Ça m’a vraiment touché et j’espère être digne de cette décoration”, confie-t-il, ému. Lui qui vit aux Etats-Unis depuis vingt et un ans retourne deux à trois fois par an au Maroc. Soucieux de soutenir son pays d’origine, il conseille de jeunes entrepreneurs marocains, venus tenter leur chance dans la Silicon Valley. “Quand ils veulent créer leur entreprise ou bien essayent d’intégrer Google, c’est un plaisir et un honneur de pouvoir les aider.”


En août dernier, Color Genomics a levé près de 80 millions de dollars (67,5 millions d’euros) auprès d’un grand nombre d’investisseurs. Son financement total de 150 millions de dollars (127 millions d’euros) en fait l’une des entreprises de technologie de la santé les mieux financées de la Silicon Valley. 


 


La suite du dossier : Cancer, parlons-en sans tabou


La maladie comme un marathon


Changer le sens de son existence


La médecine « alternative » un courant complémentaire ?


Onde de choc sur la famille


Karima Firoud, empathiquement vôtre


Hématologue sans frontières


Un prix pour la vie


Cancer : Parlons-en sans tabou


A Fès, un cocon pour accueillir les malades


Les priorités de la fondation Lalla Salma


Au Maroc, une mobilisation sans précédent


 


Retrouvez notre offre abonnement Web du magazine ici

Ophelie Gobinet