La Libye pénalisée par une brusque dévaluation de sa monnaie

 La Libye pénalisée par une brusque dévaluation de sa monnaie

Siège de la Banque centrale de Libye

Ereintée par plus d’une décennie de chaos politique, les Libyens subissent de plein fouet une grave détérioration de leur pouvoir d’achat après une dévaluation du dinar découlant, selon les experts, des dépenses excessives des deux exécutifs qui se partagent le pays.

Ainsi dès le 6 avril dernier, la Banque centrale de Libye (BCL) a dévalué le dinar, pour la deuxième fois en cinq ans, de 13,3%, faisant bondir le taux officiel de change à 5,56 dinars pour un dollar (contre 4,48 trois jours plus tôt) et celui du marché parallèle à 7,8 dinars (contre 6,9). Les commerçants et grossistes, qui s’y procurent les devises indispensables pour payer les marchandises qu’ils importent, ont été immédiatement affectés.

Particulièrement riche en hydrocarbures, la Libye est néanmoins dépourvue d’infrastructures industrielles et agro-alimentaires, et doit par conséquent importer la quasi-totalité des biens de consommation courante et d’équipement. « Avec la monnaie qui chute, ça va être difficile de satisfaire nos besoins en nourriture, produits d’hygiène, médicaments, transports », déplore Karim Achraf, ingénieur. D’autant que l’accès aux soins et à l’éducation est déjà très dégradé dans le pays, où manquent également les opportunités d’emplois.

 

Difficultés touchant le change

Mais la dévaluation frappe également les Libyens ayant besoin de devises pour se rendre notamment dans les pays voisins, dont principalement la Tunisie, pour du tourisme ou des soins médicaux. Depuis la chute en 2011 du dictateur Mouammar Kadhafi, le pays peine à émerger d’une décennie d’anarchie et divisions entre deux camps rivaux : un gouvernement reconnu par l’ONU basé à Tripoli et dirigé par Abdelhamid Dbeibah, l’autre ancré dans l’Est contrôlé par le maréchal Khalifa Haftar et ses fils.

Se disant préoccupée par la gravité de la situation, la Mission de l’ONU en Libye (Manul) chargée d’une médiation politique, a appelé les autorités à prendre des « mesures urgentes » pour « stabiliser l’économie ».

« Une action rapide est essentielle pour atténuer l’impact négatif sur la population, notamment la hausse du coût de la vie, la baisse du pouvoir d’achat et l’érosion de la confiance dans les institutions », selon la Manul. Dénonçant « un échange d’accusations » entre les deux camps rivaux, elle les a exhortés à « privilégier l’intérêt national », à s’entendre sur un « budget national unifié » et à « garantir une gestion financière transparente ».

 

Le coupable idéal

Pour Mahmoud El-Tijani, expert économique libyen, la BCL, « victime de l’échec et des divisions du pouvoir exécutif », mais aussi bouc émissaire, a été contrainte de prendre la décision de protéger ce qui restait de la force du dinar. Face aux déséquilibres budgétaires, il s’agit, selon lui, de mesures de la « dernière chance pour éviter la faillite et le recours à la dette extérieure », dans un contexte d’érosion des réserves en devises de la BCL et de chute des cours du pétrole. Les recettes pétrolières forment l’essentiel des revenus alimentant les caisses de l’Etat.

En révélant le 6 avril l’ampleur alarmante des dépenses publiques de 2024 imputables à Tripoli (ouest) et à Benghazi (est), puis en dévaluant le dinar, la BCL ne fait qu’affronter les conséquences inévitables des choix politiques des factions dirigeantes libyennes, explique Jalel Harchaoui, de l’institut britannique RUSI. « Ces énormes dépenses sont éminemment politiques, arbitraires et intenables : elles ne sont pas décidées par la BCL, une institution technocratique qui ne possède pas l’influence militaire et socio-politique des dirigeants » libyens.

A l’annonce de la dévaluation, la BCL a essuyé des critiques virulentes venant des deux camps, mais aussi de la population. A Tripoli, plusieurs dizaines de Libyens sont allés cette semaine crier leur mécontentement devant son siège. Pour Anwar al-Turki, un banquier de Tripoli, la BCL est « malmenée » par les dirigeants politiques, responsables des dépenses publiques les plus élevées de l’histoire moderne de la Libye, engagées au mépris de la bonne gouvernance, de la conformité financière et de la lutte contre la corruption.

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