Le nouveau livre de Pascal Boniface sur Gaza ignoré par les médias

Photo : Ludovic MARIN / AFP
Deux semaines après sa parution, le nouveau livre de Pascal Boniface, « Permis de tuer. Gaza, génocide, négationnisme et Hasbara » (publié aux Éditions Max Milo), reste largement ignoré par les grands médias.
Un silence d’autant plus surprenant que son auteur n’est pas un inconnu : directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), Boniface est un géopolitologue reconnu, souvent invité dans les médias ces dernières années. Or, à l’exception d’un passage sur TV5 Monde, aucune couverture notable : ni presse écrite, ni radio, ni télévision ne semblent vouloir relayer cette sortie.
Un choix éditorial qui n’étonne guère Pascal Boniface lui-même, qui parle d’un « boycott total et sans surprise des médias mainstream ». Il ajoute néanmoins : « Heureusement, les réseaux sociaux permettent de briser la loi du silence ». Et pour cause : son livre questionne frontalement le rôle des médias français dans la fabrication d’un récit unique autour du conflit israélo-palestinien.
>> A lire aussi : Dans « Permis de tuer. Gaza, génocide, négationnisme et Hasbara », Boniface dénonce l’indignation sélective
Notre critique
Avec « Permis de tuer. Gaza, génocide, négationnisme et Hasbara », Pascal Boniface signe un essai tranchant qui interroge la manière dont l’Occident – et en particulier la France – regarde, nomme, ou choisit d’ignorer certaines réalités du conflit israélo-palestinien.
Dès l’introduction, il pose une question centrale : comment qualifier l’impensable ? Le 26 janvier 2024, la Cour internationale de justice reconnaît un « risque plausible de génocide » à Gaza. Un événement historique, pourtant rapidement évacué dans le fracas médiatique. Pour Boniface, le véritable scandale n’est pas tant dans le débat sémantique sur le mot « génocide », mais dans le refus de nommer, de voir et de réagir.
Il insiste sur l’asymétrie flagrante des réactions internationales. Quand la Cour pénale internationale enquête sur les crimes de guerre russes, la France applaudit. Quand elle s’intéresse aux actes israéliens, la suspicion s’installe. Selon Boniface, ce « deux poids, deux mesures » mine la crédibilité même des institutions internationales.
L’un des apports les plus marquants du livre est son démontage méthodique des biais médiatiques. Pascal Boniface ne se contente pas d’accuser, il documente. Il relève par exemple les félicitations du porte-parole de l’armée israélienne à BFM TV ou CNews pour leur « excellent travail » de couverture.
Boniface cite aussi les plateaux de LCI où David Pujadas, contre toute évidence, exhibe des étals prétendument garnis pour nier le risque de famine à Gaza.
Il pointe également l’omniprésence de figures médiatiques engagées comme Caroline Fourest ou Raphaël Enthoven, qui défendent une ligne pro-israélienne sans contrepoint équivalent. Lui-même affirme être devenu persona non grata sur plusieurs plateaux télé où il intervenait régulièrement.
Au cœur de son analyse se trouve le concept de Hasbara, terme hébreu désignant la stratégie de communication israélienne. Boniface montre comment ce dispositif vise à façonner une image d’Israël comme bastion de civilisation face à une menace barbare, quitte à travestir les faits. Il cite notamment un manuel de communication qui recommande de ne plus parler de « territoires occupés » mais de « territoires disputés ».
Ce contrôle du récit irrigue les médias, les discours politiques et même certains réflexes d’indignation sélective : on demande pourquoi parler de Gaza et pas du Soudan, mais on oublie qu’Israël est un allié stratégique de l’Occident.
Boniface revient aussi sur les racines politiques du conflit. Le retrait unilatéral de Gaza, souvent présenté comme un geste de paix, aurait selon lui renforcé le Hamas, en lui donnant le mérite d’avoir contraint Israël à se retirer.
Il rappelle que Benyamin Netanyahou a lui-même reconnu avoir indirectement favorisé le Hamas pour affaiblir l’Autorité palestinienne. Dans cette logique, criminaliser toute résistance tout en bloquant toute perspective politique conduit inévitablement à une radicalisation.
À travers ce livre, Boniface dénonce une forme de négationnisme d’un nouveau genre : non pas la négation d’un génocide passé, mais celle d’un crime en train de se produire. Une banalisation du pire, rendue possible par un traitement médiatique sélectif et une indifférence croissante.
Il cite des déclarations glaçantes de ministres israéliens appelant à laisser mourir des civils, la prolifération de vidéos humiliantes, ou encore les propos de De Gaulle en 1967 sur les effets inévitables de l’occupation – propos qui, aujourd’hui, seraient peut-être poursuivis en justice.
« Permis de tuer. Gaza, génocide, négationnisme et Hasbara » n’est ni un pamphlet ni un plaidoyer univoque. Boniface n’élude ni les crimes du Hamas ni la douleur israélienne. Mais il refuse que cette réalité serve de justification à une impunité totale. Il alerte, il interroge, il dérange – et c’est sans doute pour cela qu’il est passé sous silence.
Ce livre est un miroir tendu à notre cohérence morale. Que restera-t-il de notre attachement aux droits humains si nous choisissons, cette fois encore, de détourner le regard ?