Les Afriques loin des clichés

Exposition Au-delà des apparences, jusqu’au 23 novembre 2025 au Musée Rath de de Genève ©Dylan Perrenoud / CBH / MAH
De Dakar à Nairobi, en passant par Kinshasa et Antananarivo, Au-delà des apparences réunit au Musée Rath de Genève plus de 80 artistes issus d’une vingtaine de pays africains. À travers leurs œuvres, c’est tout un continent qui se révèle au public.
En ces temps de crispation identitaire et de montée des nationalismes, l’ouverture d’une exposition célébrant l’art moderne et contemporain africain relève presque de l’acte de résistance. Présentée au Musée Rath de Genève, Au-delà des apparences propose une traversée inédite d’un siècle de création du continent à travers la collection de la banque privée suisse CBH.
Rassemblant près de 120 œuvres de plus de 80 artistes originaires de 21 pays, l’exposition met en lumière une production encore trop méconnue, à découvrir jusqu’au 23 novembre.
« Avec Au-delà des apparences, le Musée Rath accueille pour la première fois un panorama de la création artistique africaine », souligne Marc-Olivier Wahler, directeur du Musée d’Art et d’Histoire dont dépend le Rath. « Ce projet illustre parfaitement la vocation du musée à ouvrir de nouveaux champs de réflexion et à faire découvrir des expressions artistiques encore trop peu visibles dans nos institutions. »
Le parcours, articulé en sept volets, invite à « décoloniser le regard » et à saisir la complexité des trajectoires africaines à travers des préoccupations aussi bien esthétiques qu’écologiques et politiques. « On a essayé de concevoir une collection représentative du continent », explique Jean-Yves Marin, co-commissaire avec Ousseynou Wade. « Nous avons mis en avant sa diversité pour créer des dialogues et des séquences complémentaires », ajoute celui qui fut secrétaire général de la Biennale de Dakar.
Les premières salles rendent hommage aux pionniers : le couple Albert et Antoinette Lubaki, dont les aquarelles animalières racontent en fables la vie quotidienne du Congo. Un peu plus loin, sur les cimaises, on admire les portraits en noir et blanc du père de la photographie africaine Seydou Keïta, chez qui tout Bamako venait poser — fonctionnaires, commerçants, politiciens…

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Ces clichés dialoguent avec ceux de son compatriote Malick Sidibé, qui immortalisa la jeunesse malienne en liesse à une période charnière du pays, celle de la fin de la colonisation. On a beau les avoir vus et revus, on ne se lasse pas d’admirer les œuvres de celui qui fut le premier Africain à recevoir, en 2007, le Lion d’Or à la Biennale de Venise.
Autre monument : le Ghanéen Brahim El Anatsui, célèbre pour ses somptueuses tapisseries conçues à partir de capsules de bouteilles aplaties. Ce choix de matériaux recyclés traduit à la fois un engagement écologique et une dénonciation de la surconsommation.
Roméo Mivekannin, lui, « s’introduit comme par effraction dans l’espace de la peinture classique européenne », en revisitant L’Olympia de Manet sur des tissus anciens — draps ou toiles de jute — pour interroger la place du corps noir dans l’imaginaire collectif.
Même tension entre héritage et modernité chez Yeanzi, qui « s’exprime avec un matériau témoin de son temps » : le plastique fondu. L’artiste ivoirien y voit une façon de traiter la mémoire et les traumas du passé encore visibles dans les sociétés postcoloniales.
Le Congolais JP Mika, représentant flamboyant de la nouvelle génération des plasticiens populaires congolais, revendique simplement le bonheur d’être et de vivre. « Dans ma peinture, il n’y a pas de faits divers, pas de message politique, pas de critique. Il y a trop de difficultés et de misère dans la vie. C’est pour ça que je veux que l’on ressente toujours l’espoir dans mes tableaux. » Arborant lunettes, cravate, montre bling-bling et chaussures trop grandes, son Prétendant sapeur déclenche forcément le sourire.

L’une des grandes forces de Au-delà des apparences réside dans la place qu’elle accorde aux femmes artistes longtemps reléguées à la marge. Sculptrices, photographes ou peintres, elles redessinent à leur manière la cartographie de l’art africain contemporain et imposent d’autres récits et d’autres voix. De Seyni Awa Camara, sculptrice sénégalaise qui modèle dans la terre cuite les figures de la maternité, à Thandiwe Muriu, photographe kenyane qui réinvente les codes de la beauté féminine africaine à travers ses portraits saturés de tissus kitenge (typiques de l’Afrique de l’Est), toutes revendiquent un geste d’émancipation.
Géraldine Mutumande Tobe, seule femme de sa promotion à Kinshasa, travaille la suie comme une matière vivante pour exorciser le passé colonial et questionner la restitution des œuvres africaines. Toutes deux nigérianes, Tonia Nneji et Ayanfe Olarinde, autodidacte, sondent les blessures intimes : santé mentale, corps féminin, silence social. Enfin, la Sud-Africaine Turiya Magadlela évoque, à travers les textiles du quotidien (collants en nylon, uniformes pénitentiaires, draps de prison), le passé de son pays marqué par l’apartheid mais aussi la condition féminine. Ni muses ni modèles, ces femmes sont les nouvelles narratrices d’un continent.
En réunissant des voix venues de toute l’Afrique subsaharienne, Au-delà des apparences offre une mosaïque saisissante de l’histoire et des imaginaires du continent. Et l’aventure ne s’arrête pas là : la collection CBH prévoit de s’ouvrir à l’Afrique du Nord pour prolonger ce dialogue polyphonique.
Au-delà des apparences, jusqu’au 23 novembre au Musée Rath
Pl. de Neuve 1, 1204 Genève, Suisse
