Tunisie. Loi de finances 2026 : promesses sociales, angles morts économiques

 Tunisie. Loi de finances 2026 : promesses sociales, angles morts économiques

Dans les coulisses de l’hémicycle, on reproche au gouvernement d’avoir exclu les parlementaires des consultations habituelles en vue du PLF

Présenté comme une « loi de finances sociale », le projet de budget 2026 affiche de grandes ambitions : plus de justice fiscale, une meilleure gouvernance et la relance de l’économie nationale. Mais à mesure que le texte se précise, les observateurs pointent un décalage entre les intentions et les réalités.

Le PLF 2026 a-t-elle les moyens de sa politique ? Si le projet s’articule autour de trois piliers : justice et équité avec ciblage des plus démunis plus encore qu’en 2025, volonté de simplification avec une réduction ostensible des coûts de conformité, et renforcement de l’État-social, euphémisme de l’Etat providence. Le discours officiel insiste sur la lutte contre l’économie informelle, la réforme des entreprises publiques, le développement régional, la gouvernance et la programmation d’un « plan quinquennal 2026-2030 ».

Des mesures sectorielles — notamment des exonérations fiscales pour la Compagnie des Phosphates de Gafsa — illustrent par ailleurs une politique de soutien ciblé. Mais, à y regarder de près, le texte soulève d’importantes réserves, déjà soulignées par de nombreux analystes.

 

Des promesses non chiffrées

L’idée gouvernementale est en l’occurrence de « jeter les bases d’une fiscalité plus performante et plus juste », selon le ministère des Finances. Or, au-delà des slogans, beaucoup soulignent le manque de données concrètes. Aucune base de taux de croissance clair, peu de projections détaillées, et encore moins d’évaluation des résultats des budgets précédents.

« On continue à construire sur des hypothèses plutôt que sur des chiffres », commente un économiste tunisien. Cette absence de chiffrage rend le suivi du budget quasi impossible et entretient une impression « d’improvisation permanente », selon l’opposition et les critiques.

 

La tension fiscale aux limites du soutenable

Pour alimenter les caisses publiques et les fonds sociaux, plusieurs taxes inédites sont annoncées : sur les grandes surfaces, les opérateurs téléphoniques, les banques, les assurances ou encore les transactions immobilières. Ces mesures, censées viser les secteurs rentables, risquent en réalité de se répercuter sur le consommateur final. Dans un contexte de hausse des prix et de stagnation des salaires, le pouvoir d’achat pourrait encore s’éroder davantage. La Tunisie, déjà parmi les pays les plus fiscalisés du Maghreb, voit donc s’alourdir la pression sur les classes moyennes, sans garantie d’un meilleur service public en retour.

« L’État social ne peut se concrétiser sans une véritable relance économique. Hélas, ce projet de loi de finances consacre l’idée d’un État social sans prendre en compte la dimension économique. Cela contribuera à appauvrir ceux qui étaient jusque-là relativement aisés, ceux qui soutiennent la consommation, tandis que les plus modestes ne pourront pas améliorer leurs revenus. Un modèle qui, hélas, fera porter le fardeau à des générations à venir », commente le journaliste spécialisé en économie Anis Moraï.

 

Financement interne : un pari risqué

Autre sujet d’inquiétude : le recours envisagé à un financement direct auprès de la Banque centrale, à hauteur de près de 3,7 milliards de dollars, pour combler le déficit budgétaire, soit 11 milliards de dinars.

Des économistes avaient déjà mis en garde contre la tentation à répétition du financement direct du Trésor par la Banque centrale. Déjà en 2024 et 2025, un projet de loi modifiant les statuts de la BCT autorisait l’institut d’émission, « à titre exceptionnel », à accorder au profit du Trésor des facilités d’un montant total de 7 milliards de dinars, d’une maturité de dix ans dont trois années de grâce et sans intérêts. Une mesure exceptionnelle qui, selon plusieurs experts, pourrait relancer l’inflation et compromettre la stabilité monétaire.

En mobilisant les ressources bancaires pour financer l’État, on risque aussi de freiner le crédit destiné aux entreprises et à l’investissement productif. La dette publique, déjà lourde, continue par ailleurs d’absorber une part croissante du budget, réduisant la marge pour les dépenses sociales ou régionales promises.

 

Des lacunes de méthodologie

Sur la forme, le processus d’élaboration du budget reste marqué par l’opacité et de manque de consultation avec le Parlement. Les retards de transmission au Palais du Bardo, le manque de concertation avec la société civile et les experts, ou encore l’absence d’une évaluation indépendante des politiques publiques traduisent « un déficit de gouvernance » pour les détracteurs du texte.
Selon eux, la logique technocratique domine encore, au détriment d’une planification de long terme.

L’intention sociale est louable : renforcer les filets de protection, soutenir les jeunes et les régions marginalisées. Mais sans croissance soutenue, ni réforme en profondeur de l’administration, du système fiscal ou des entreprises publiques, ces promesses risquent de rester théoriques.
En attendant, l’État dépense de plus en plus pour compenser les crises, sans réussir à créer un environnement favorable à l’investissement ni à restaurer la confiance.

Au final, le projet de loi de finances 2026 confine à un exercice d’équilibrisme : maintenir les équilibres sans affronter les réformes structurelles. L’ambition sociale se heurte à la réalité budgétaire, tandis que les marges d’action se réduisent au fil des années.