Les médias marocains préfèrent le mâle

 Les médias marocains préfèrent le mâle


Sans surprise, une récente étude confirme la timide présence féminine dans la presse écrite, électronique et audiovisuelle du Royaume. Les stéréotypes sexistes sont promis à une longue vie. Explications.


Qui fait l’info ? Certainement pas les femmes, selon le rapport élaboré par la Haute autorité pour la communication audiovisuelle dans le cadre du Global Media ­Monitoring Project (GMMP) 2015, qui a été présenté en mars dernier à Rabat. La conclusion est sans appel. Que l’on prenne comme critère les sujets ou les sources ­citées : elles ne pèsent que 20 % dans les médias au ­Maroc, contre 80 % pour les hommes ! L’enquête a également étudié la présence des femmes dans les métiers de la presse. Là, en revanche, on note un mieux : elles représentent 46 % des effectifs, contre 54 % pour leurs homologues masculins, tous supports confondus.


 


Stéréotypes patriarcaux


En vue de ce rapport, les auteurs ont analysé les bulletins d’information radio et télé, ainsi que les titres et “unes” de la presse écrite et électronique durant une journée (le 25 mars 2015). Quatre chaînes de télé généralistes (trois publiques et une privée), six radios (cinq privées et une publique), sept titres de presse papier et trois sites électroniques ont été passés au peigne fin. “Les chiffres du rapport ne sont pas ‘représentatifs’ au sens quantitatif du terme étant donné la méthodologie adoptée, tempère Fadma Aït Mous, professeure de sociologie à la Faculté des lettres et des sciences humaines Ain Chok de Casablanca. Néanmoins, ils témoignent d’une réalité et d’une tendance révélée par les rares études sur le sujet.”


Comment s’explique ce déséquilibre ? “La faible visibilité des femmes dans les médias n’est que le reflet de celle qui est la leur dans l’espace public en général. Cet écart tient aux stéréotypes patriarcaux toujours en ­vigueur malgré des dispositifs juridiques et constitutionnels promouvant la parité et l’égalité”, estime Fadma Aït Mous. Une vision que partage le consultant en média digital Marouane Harmach. Selon lui, les causes de cette inégalité relèvent autant de l’environnement politique, que social et culturel. “Ce manque de visibilité médiatique est à l’image de leur occupation du terrain politique”, analyse-t-il.


 


Plafond de verre


Selon Marouane Harmach, la présence minoritaire des femmes est également liée à “leur manque de confiance et leur tendance à ne pas prendre les devants”, mais aussi à “l’incapacité des journalistes à féminiser leur réseau d’interlocuteurs, en se contentant souvent d’appeler les mêmes personnes”. Dans son secteur, le consultant perçoit le même plafond de verre : “Le web est un ­milieu plutôt jeune et masculin, même s’il tend à se féminiser. Les influenceurs et communicants sont des hommes, alors que la communication en entreprise est, elle, dévolue aux femmes.”


A la télévision, les femmes peinent à s’imposer dans les émissions politiques et à accéder à des postes de responsabilité. Ancienne présentatrice chez Medi1TV, Ikram Benchrif, confirme : “A Medi1TV, le nombre de femmes journalistes dépassait les 50 % lors de mon départ, en 2010. Si la représentation féminine à l’écran était décente, c’était loin d’être le cas au niveau des postes de responsabilités, preuve de l’échec de l’égalité professionnelle.” Et la journaliste d’ajouter : “Peu de femmes se voient confier des émissions de grande audience ou des postes à responsabilité. Elles sont systématiquement stigmatisées, renvoyées souvent à leur ‘féminité’ et non à leurs compétences ou leur éthique. Les stéréotypes et les propos sexistes sont très tolérés dans les rédactions, tout comme dans les milieux politiques et dans la rue d’ailleurs. La journaliste-reporter ou animatrice de débat est difficilement reconnue pour sa capacité à assurer sa fonction.”


 


La ménagère ou l’élégante


Pendant des années, Ikram Benchrif a présenté les JT et réalisé des reportages télé. La prise en charge d’une émission politique lui a fait prendre conscience du sexisme subi par ses consœurs. “La chose politique ­relève exclusivement du domaine masculin, argue-t-elle. Et l’acceptation de ce constat était non seulement partagée par nombre d’hommes politiques, de collègues mais aussi de journalistes femmes. ‘Vous êtes plus redoutable qu’un homme’, ‘vous ne souriez pas assez pour une femme’, ‘votre image ne colle pas à celle d’un jour­naliste politique’ sont autant de stéréotypes répétés essentiellement par des confrères”. Ikram Benchrif ne mâche pas ses mots. Une telle discrimination “était aussi le lot des femmes invitées sur les plateaux télé. Moquées pour leur apparence physique, traitées dans les débats politiques, comme intervenantes de second degré…”


Paradoxalement, ce sont les médias qui contribuent à cette mentalité sexiste. “Ainsi, décrypte Fadma Aït Mous, l’image véhiculée dans les médias marocains s’articule en gros autour de deux stigmatisations extrêmes : la ménagère et l’élégante. On homogénéise la pluralité des femmes et on les assigne à des profils typiques : la femme passive, confinée dans l’espace privé (les publicités destinées à la mé­nagère…) ; et aussi la femme rebelle, libérée et affranchie des tabous mais qui est présentée négativement comme ­déviante du modèle dominant. C’est le corps de la femme qui est donné à voir dans les médias et non son âme et son être.” Selon Fadma Aït Mous, il va de soi que : “les médias et leurs responsables (régulateurs, concepteurs, producteurs de contenus, journalistes) doivent assumer leur rôle et œuvrer à corriger ces clichés.”


 


La parité, un pari loin d’être gagné


La chaîne 2M a innové en créant un comité Parité et Diversité et mis en place une charte. “Nous voulons ­représenter la femme telle qu’elle est dans la société”, avance Khadija Boujanoui, présidente du comité.


Dans les autres secteurs de l’économie, les chiffres varient. Les femmes sont majoritaires dans les métiers relevant du “social et juridique” (52 %) et très peu dans la sphère “politique et gouvernement” (5 %). Dans les fonctions d’expertes, chercheuses ou juges et avocates ou dans les fonctions sécuritaires (police, armée), elles sont quasi-absentes.


Mais le changement de mentalités risque d’être long : “Sans sombrer dans le déterminisme, je pense que la ­socialisation de l’enfant marocain, une fois adulte, reproduit inconsciemment les clichés assimilés sans les ­remettre en question. Le journaliste n’est guère exempt de ces stéréotypes”, évalue Fadma Aït Mous.


Pour Marouane Harmach, l’égalité “n’est pas encore un réel sujet pour les femmes. Elles sont peu à militer pour le pouvoir décisionnaire.” Un avis que partage Ikram Benchrif : “Le Maroc, pense-t-elle, a enregistré sur ce terrain, autant de progrès que de recul. Il y a toujours une résistance… une grande résistance. Le principe de l’égalité est loin d’être acquis même dans les sphères de décision.”


 

Abdeslam Kadiri