Mohammed VI, le roi qui dérange

 Mohammed VI, le roi qui dérange

MAP / AFP

On a déjà beaucoup glosé sur le feuilleton du Monde consacré à Mohammed VI, voilà qu’on découvre, au-delà de l’anecdote, sur les colonnes du Figaro, que « Mohammed V était un sultan qui devint roi du Maroc » et où le journaliste nous apprend que « ce monarque quasi vénéré dans son pays, non seulement pour avoir contribué à son indépendance, est considéré comme le père de la nation » ! Le reste est à l’avenant.

Pourtant, les sujets ne manquent pas, en France, de la crise politique qui est à son comble entre la décision du Premier ministre de solliciter un vote de confiance le 8 septembre, la chute attendue du gouvernement Bayrou, l’ampleur des coupes budgétaires, les mouvements sociaux à venir, etc., ce qui constitue autant d’inconnues nécessitant des enquêtes de fond de la part des journaux de référence français. Parmi les victimes de ce voyeurisme médiatique, un droit fondamental : la liberté d’informer.

Quelle mouche a piqué la presse française ? Va-t-elle nous imposer une vérité nouvelle, « alternative », comme dirait Trump, de notre histoire politique ? Apparemment oui, disent les journalistes, pourtant simples historiens de l’instant, mais dans le marasme actuel, cette prétention, qui conjugue plusieurs vices, non seulement viole la liberté de pensée de la majorité des Marocains, mais ne sert pas non plus les derniers refuzniks du royaume, dont le virage primordial vers un intérêt national nécessaire à toute démocratie respectable les met dans une expectative qu’on peut traduire par « attendons de voir ».

Entretenue par l’ignorance, la vision statique et surannée du journal d’une monarchie absolue aux pratiques moyenâgeuses n’incline que trop à juger, sur des biais cognitifs faux, ou du moins appartenant au passé, un vécu qui, au fil du temps, relève plus de la légende, armés de vérités peu consensuelles mais avec l’espoir inavoué de réveiller des démons assoupis.

Quelle pitié de mesurer la légèreté de l’argumentaire, des faits qui relèvent de l’imagination, un récit qui n’a pas peur des contradictions, présentant à la fois un roi épuisé, malade au point de susciter l’inquiétude pour sa succession, et, privilégiant une autre fois, l’image d’un monarque vigoureux chevauchant énergiquement son jet-ski !

Il y a péril à violenter les principes de base de notre droit à l’information pour complaire à une idéologie quelconque, car on ne fait pas un bon article avec une bordée de clichés enrichis par des témoignages approximatifs de « personnes proches », de « sources anonymes » ou encore « d’opposants préférant l’anonymat ». Une équipe de journalistes aguerris devrait savoir que « le doute méthodique » est le propre de notre métier et que le recoupement des faits et des informations sources ne laisse pas de place aux ressentis personnels.

Car déjà le mal court quand, après avoir lu tous les épisodes de ce feuilleton d’été sur le roi du Maroc, on reste, bien entendu, sur sa faim : rien de nouveau sous le ciel de Paris. Place aux ragots et « on dit », aux titres racoleurs de pseudo-analyses tendancieuses, de fake news, avec la volonté ferme de désinformer, si ce n’est la méconnaissance incroyable des réalités de ce pays, qui ne peut s’expliquer que par la volonté affichée de nuisances, sans égard au discrédit porté au métier de journaliste.

Le marronnier s’est révélé complètement simpliste, voire bien mièvre (en journalisme, le marronnier est un sujet de faible importance, qui sert à meubler une période d’actualité creuse ; ici, en l’occurrence, c’est l’été).

Le journal se fourvoie gravement en prenant le risque d’épouser ces anachronismes imbéciles de la mémoire que sont la haine viscérale de la monarchie, qui date de l’époque de Jean-Marie Colombani. Pour rappel, en 1998, la justice française avait donné définitivement raison au roi du Maroc contre le journal Le Monde, condamné pour « offense envers le roi Hassan II du Maroc ».

La Cour d’appel avait décidé que, dans son article du 3 novembre 1995, Le Monde s’était rendu coupable « véritablement d’une accusation de duplicité, d’artifice, d’hypocrisie, constitutive d’une offense » et avait franchi les limites de l’atteinte à la dignité de la personne « autorisées par le droit de critique et de libre discussion des orientations ou des actes politiques ».

Le traditionnel parti pris du journal contre la monarchie nous a été resservi avec une concentration de tirs croisés sur le roi, qui sont en réalité dirigés contre ce Maroc de Mohammed VI, qui, désormais, avance en dépit de son opposition viscérale à la tutelle de Paris.

Cela dit, que faut-il voir dans « ce feuilleton à charge » contre le roi du Maroc ? En France, comme au Maroc, certaines voix, étonnées par l’initiative, se posent la question, mais l’option d’une sortie médiatique ordonnée par l’un des actionnaires les plus influents du journal me paraît peu probable, sachant qu’aujourd’hui le vénérable quotidien de la rue des Italiens est déchiré entre une multitude de décideurs, qui vont du groupe Vivendi à Xavier Niel, en passant par le groupe espagnol Prisa, qui détient El País et Radio Cadena Ser, entre autres.

Nous avons bien eu des amis dans la rédaction du Monde qui se sont toujours défendus de travailler dans un journal d’opinion, assurant bien au contraire que la rédaction rassemblait des opinions diverses, qui ne l’emportaient jamais sur les impératifs journalistiques, mais que « cela n’empêchait pas l’organe de presse de défendre un certain nombre de valeurs, telles que la défense des libertés publiques, la justice sociale ou la démocratie en France ». Insistons sur le mot « France » !

En résumé, des journalistes qui seraient imperméables à la courtisanerie, travaillant dans une totale indépendance, sans être inféodés à je ne sais quelle officine ?

En tout cas, ces embardées médiatiques à trop revendiquer, pour leur propre version de l’exercice du pouvoir à Rabat, un blanc-seing médiatique ont échoué à donner à un journal étranger, en sol étranger, le pouvoir d’imposer sa vérité sur le régime à des Marocains qui en savent toujours plus.

Et si le roi du Maroc était tout simplement un chef d’État qui dérange ? Un des rares dirigeants et hommes politiques qui sont en mesure de faire bouger les choses en ce siècle obscur ?

Le problème pour ses détracteurs, c’est que M6, comme l’appellent les jeunes, est un roi qui gouverne et qui exerce la responsabilité effective du pouvoir. Le titulaire du poste a bien mis en place les conditions pour la naissance d’un exécutif responsable, même si un Parlement représentatif reste encore un vœu pieux au Maroc, même si cela passe parfois par des décisions qui bouleversent le quotidien des Marocains et dont les bienfaits ne sont visibles que bien des années plus tard.

En somme, lancé à toute vitesse, le TGV Maroc a déjà sifflé trois fois. En clair, l’homme peut se targuer d’avoir réussi à refonder le pacte social avec les Marocains. Résultat : le royaume fait désormais partie des pays qui comptent, et les Marocains sont fiers d’appartenir à une nation dont le monde découvre avec étonnement que ce pays est dirigé par une dynastie qui remonte à des siècles.