Point de vue. Etre Président de République

Illustration – Kayhan Ozer / ANADOLU AGENCY / Anadolu Agency via AFP
Qu’est-ce que la fonction d’un président de République exige et suppose de la part des candidats à cette fonction, qu’ils soient de la majorité ou de l’opposition, notamment dans les régimes présidentiels ? A la lourde charge doivent correspondre des exigences draconiennes.
Il est certain qu’un président de la République, essentiellement dans un régime présidentiel, ne devrait jamais accéder au pouvoir sans une formation solide et une expérience politique confirmée. Ce principe, qui paraît évident, est pourtant souvent négligé dans de nombreux régimes politiques contemporains, démocratiques ou autoritaires, où la popularité médiatique, le charisme ou le bavardage communicationnel semblent parfois remplacer la compétence et la culture d’État. Gouverner un pays n’est pourtant pas un exercice d’improvisation. C’est un métier qui suppose savoir, méthode, expérience et sens du bien commun.
Un dirigeant sans formation politique adéquate risque de confondre l’État avec un parti ou un entourage et la décision publique avec une impulsion personnelle. Or, l’art de gouverner suppose une connaissance approfondie de l’art politique, de la Constitution, de l’économie, de la diplomatie, et surtout des équilibres complexes qui font la stabilité d’un État. C’est pourquoi, dans les démocraties consolidées, on attend d’un président ou d’un chef de gouvernement qu’il ait gravi les échelons du service public, qu’il ait éprouvé la réalité du pouvoir à différents niveaux, et qu’il ait appris à écouter avant de décider.
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Les exemples sont multiples. En Allemagne, Angela Merkel, docteure en physique, a passé plusieurs années au sein du parti et du gouvernement avant de diriger le pays avec rigueur et prudence. En France, Giscard était major de Polytechnique, outre son expérience gouvernementale aux finances ; François Mitterrand et Jacques Chirac avaient chacun derrière eux, outre une bonne formation, des décennies d’expérience politique, militante et gouvernementale avant d’accéder à l’Élysée. Aux États-Unis, Barack Obama, bien qu’élu jeune, avait fait ses preuves comme avocat et sénateur ; Joe Biden, outre sa formation universitaire, a exercé plusieurs fonctions politiques, sénateur durant plus de vingt ans, puis vice-président, avant de devenir président. Bourguiba avait derrière lui l’expérience des décennies de militantisme et de combat, Ben Ali avait gravi les différentes étapes de la carrière politique (et militaire). Essebsi avait une grande expérience politique. Ces parcours ne garantissent certes pas l’infaillibilité, mais ils témoignent d’une préparation, d’un apprentissage patient du pouvoir, d’une discipline intellectuelle et morale.
À l’inverse, quand l’ambition personnelle précède la compétence, le pays s’expose à des dérives autoritaires, à des décisions impulsives, ou à une gouvernance fondée sur la réaction plutôt que la réflexion. L’inexpérience politique conduit souvent au populisme, à la personnalisation du pouvoir et à la confusion entre la volonté du chef et celle de la nation. L’histoire récente, dans plusieurs pays, a montré les dégâts causés par des dirigeants sans ancrage institutionnel, improvisant la politique comme un spectacle ou une vengeance. Trump, homme sans tradition politique, se comporte puérilement, avec un langage vulgaire. Macron patauge et tergiverse, et s’il est fortement contesté par la population et la majorité, c’est qu’il manque de repères et de fortes convictions politiques, faute d’expérience politique. Saied est passé directement de l’Université à la présidence de la République, sans gravir les indispensables échelons politiques. Même les jeunes princes dans les monarchies reçoivent dès l’enfance une éducation appropriée pour qu’ils soient prêts le jour du sacre.
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C’est, en effet, un des enseignements de la politique comparée : être président de la République, c’est un couronnement professionnel, pas un début de carrière. Tous ceux qui ont voulu, par empressement ou par ambition fiévreuse, prendre un raccourci et accéder d’un coup et directement à cette haute charge, dans quelque pays que ce soit, en Occident ou dans les pays du Sud, ont été des présidents hors sujet, dépassés ou engloutis par leur nouvelle fonction (étrangère à leur cursus). Incapables de s’adapter, ou n’ayant pas appris à s’adapter aux aléas de la politique, à ses crises et à ses tragédies, ils ne peuvent comprendre le sens de leur mission, faute de recul, même s’ils font trois mandats de suite. Ils ne peuvent distinguer le juste de l’injuste, le vrai du faux. Ce qui explique d’ailleurs qu’ils ont une idée fausse de leur légitimité, outre que leurs états d’âme les détournent de l’essentiel. Président de la République, c’est un métier, avec un cursus à respecter et des étapes nécessaires à franchir. On ne peut être stagiaire à la tête de l’Etat. On ne peut devenir président sans avoir été militant dans un parti (ou syndicat), maire, député, ministre, ambassadeur ou premier ministre. C’est le cumul de plusieurs de ces fonctions qui confère au responsable politique une vue appropriée à la fois des problèmes de la société d’en bas et les perspectives possibles d’en haut. La politique n’est pas une partie de plaisir. Elle suppose des décisions fondamentales en temps de paix, et des décisions graves dans les moments de crise. Et ce qui est valable pour un président est aussi valable pour un chef de gouvernement.
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C’est pourquoi j’ai une fois proposé que le candidat aux élections présidentielles, notamment dans les régimes présidentiels, devrait d’abord passer des audiences devant une cour constitutionnelle (indépendante) pour qu’elle vérifie les titres, les aptitudes, la vocation et les diverses expériences passées du candidat, et pour qu’elle décide en dernier ressort sur son sort pour l’intérêt supérieur de la nation. Autrement dit, pour que l’électeur ait moins de risque de choisir un profil bas à la tête de l’Etat et qu’il ait des garanties de droit. Cette procédure, qui existe déjà pour les hauts emplois aux États-Unis, devrait être prévue par la constitution elle-même. Une fois président, il devrait encore faire un seul mandat ferme, au vu des risques de dilatation de ses attributions dans différentes circonstances de crise. Enfin, il est impératif de prévoir une procédure de destitution du président dans les régimes présidentiels par la cour constitutionnelle, sur proposition d’une majorité renforcée au parlement, en cas de violation de la Constitution (En 2016, Dilma Rousseff, la présidente brésilienne a été destituée par le Sénat ; aux Etats-Unis, c’est tout le Congrès qui se charge de l’impeachment). Il s’agit de sauver la démocratie contre l’usurpation et de sauver le peuple contre lui-même.
Les électeurs n’ont en effet pas toujours l’expérience, la culture et la maturité nécessaires pour distinguer le bon candidat du mauvais, pour gouverner un pays ? Les procédures requises et les institutions devraient les aider à le faire. Car une démocratie ne se mesure pas seulement à la liberté d’élire, mais aussi à la sagesse de choisir.
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