Le succès de la politique attrape-tout de Macron

 Le succès de la politique attrape-tout de Macron

ERIC FEFERBERG / AFP


Il faut avouer qu’Emmanuel Macron est un nouveau phénomène politique. Il obtient au premier tour des présidentielles 24,01% des voix, secondé par Marine Le Pen qui obtient, elle, 21,3%. Celle-ci, faut-il noter, progresse sensiblement d’une élection à l’autre. Elle est déjà une alternative crédible, même si les sondages du 2e tour placent Macron nettement vainqueur dans une proportion de 60%-40% environ pour l’instant. 


Certaines des idées de Marine Le Pen sont soutenues par une majorité de Français (de droite et de gauche), même si les électeurs rejettent en majorité son programme politique général, l’extrémisme du FN et optent pour les valeurs républicaines. La droite traditionnelle est maintenant hors système. Fillon, le représentant des Républicains arrive difficilement en 3e position avec 20,01%. Jean-Luc Mélenchon, le verbeux représentant de la « France insoumise » et de la gauche contestataire, devient le premier parti de gauche avec 19,58% (en attendant les législatives). Tandis que les socialistes sont laminés sous Benoît Hamon (6,35%), homme politique frêle, emporté par l’ampleur d’une candidature présidentielle au nom d’un grand parti.


A 39 ans, Macron, énarque, ancien banquier et ministre des finances, aurait réussi le difficile pari de dynamiser, en moins d’un an après la création de son mouvement « En Marche », le 6 avril 2016, la vie politique française. Il aurait surtout réussi à briser l’ancien système politique bipolaire, scindé entre une alliance de gauche et une alliance de droite, toutes deux devenues traditionnelles par leur présence systématique au 2e tour aux législatives et aux présidentielles(à l’exception des élections présidentielles de 2002). Deux alliances permanentes, quasi-solidaires et disciplinées, alternant depuis 1958 au pouvoir. Va-ton cette fois-ci vers une nouvelle forme de bipolarisation ou vers la confirmation des nouveaux rapports de force issus du 1er tour, qui ont fait éclater le champ politique en quatre ou cinq forces proches, pas très éloignées sur le plan du suffrage? Après les présidentielles, les législatives vont-t-elles confirmer ou infirmer cette rupture ou cette logique?


Le scrutin majoritaire à deux tours tend de toutes les manières à créer une vie politique bipolaire. Ce ne sera peut-être plus entre les deux pôles traditionnels, droite-gauche, ce sera peut-être entre le mouvement En Marche et le Front National. Mais, la droite traditionnelle n’a pas dit son dernier mot, il faudrait attendre les législatives, surtout que Macron semble avoir gagné ce premier tour par défaut. D’une part, l’usure de la gauche et la chute spectaculaire de popularité de François Hollande étaient un atout à exploiter par le jeune Macron, qui s’est même servi de la gauche et du gouvernement pour rebondir et effectuer son ascension, d’autant plus que la gauche n’avait pas de leader incontestable. D’autre part, la droite était usée par les années Sarkozy, les luttes intestines et les affaires successives mettant en cause certains de ses dirigeants.


Macron semble d’autant plus réussir par défaut que Fillon, le représentant de la droite, tout comme Juppé avant lui, étaient il y a quelques mois, avant les primaires pour Juppé, et après les primaires pour Fillon, en tête des sondages. Celui-ci était même assuré de son futur succès au premier tour et commençait à préparer la liste de ses collaborateurs à la présidence et au gouvernement. Le recul de Fillon date de l’affaire Pénélope. L’échec de la droite au premier tour semble être ainsi l’échec personnel de Fillon, perçu juste après l’éclatement de cette affaire, comme étant un candidat peu vertueux et peu honnête, par les sondages, qui ne mérite plus de ce fait de représenter les Français. La confiance est rompue avec l’électorat de base de la droite. Sa chute semblait ainsi naturelle en dépit de ses compétences. Lui seul s’entêtait encore à y croire et refusait les appels de ses collaborateurs l’invitant à se désister au profit d’un autre candidat de la droite. Il s’abritait derrière l’idée du complot manigancé contre lui. Il savait au fond de lui qu’il allait droit au mur, comme cela transparaissait de son attitude moins triomphaliste et plus sceptique durant la campagne. L’affaire pénélope, manipulée ou pas, a de surcroît été très médiatisée pour des raisons électoralistes.


En créant le mouvement En Marche,  Macron a créé au fond un parti attrape-tout au sens plein du terme :un mouvement transversal, se situant entre la gauche, la droite et le centre, en quête d’électeurs issus de toutes les catégories sociales. En somme, un véritable parti d’agrégation des intérêts : l’apanage des partis de gouvernement.  La « doctrine » syncrétique, si doctrine il y a, du mouvement En Marche, crée il y juste une année, a permis à Emmanuel Macron d’être un candidat rassembleur à 39 ans, un âge réputé être d’effervescence idéologique et militante. Un rassembleur qui profite du durcissement de la droite libérale, qui perd sa modération et son humanisme (incarné par le libéral centriste Juppé) et du rétrécissement du socialisme de Hamon, cloîtré dans le dogmatisme d’un autre âge et visiblement mal conseillé politiquement.


Droite et gauche sont ainsi devenus des partis non ouverts, au même moment où Macron tend les bras à tous. Macron refuse tout apriorisme idéologique, notamment les classifications droite-gauche. On lui reprochait d’ailleurs de croire à tout et à rien. Il a cru déjà en lui, ce qui n’est pas peu. Le 6 avril 2016, alors qu’il était ministre de l’économie, il créait son mouvement En Marche, en vue de « marcher »justement vers le trône présidentiel et législatif. Il ne s’agissait pas, à ses dires, de participer aux kermesses électorales avec un parti de plus sur la scène politique. Il visait réellement le pouvoir et avait une stratégie pour le faire. Il était déjà médiatisé pour son originalité, et pour sa rébellion audacieuse vis-à-vis des socialistes, chose qui a attiré la sympathie des électeurs de droite. Il prend ses distances du président Hollande et se libère de toute tutelle partisane ou gouvernementale. L’ancien banquier pragmatique, issu de chez Rothschild, voulait « faire entrer la France dans le XXIe siècle », comme il le disait dans sa campagne. Le dualisme idéologique et partisan machiavélique de la vie politique n’était pas très « moderne » à ses yeux. Il ne permettait ni de faire des consensus salutaires en cette période difficile, ni d’y aller de l’avant. Des poids lourds politiques sont venus le rejoindre avant le 1er tour, comme le centriste François Bayrou, le gaulliste Dominique de Villepin, le socialiste Manuel Valls ou Jean Yves Le Drian, le ministre de la défense.


Macron a réussi à gagner au 1er tour dans une dynamique synthétique.  Il  lui reste encore à gagner le 2e tour, puis les législatives, pour confirmer que le mouvement En Marche, qui a réussi en une année à être un mouvement présidentiel autour de lui, peut encore être le nouveau parti attrape-tout aux législatives, comme il l’était pour les gaullistes, et les socialistes.


Emmanuel Macron est désormais le favori au 2e tour dans la logique des choses, et surtout après les déclarations de soutien des deux représentants des deux grands partis perdants, de droite et de gauche, Fillon, Hamon. Il a reçu aussi le soutien de Juppé, du président Hollande, et bien d’autres personnalités. Traumatisé par sa morale et sa « défaite », toute relative pourtant, Mélenchon n’arrive pas, lui, à choisir entre deux maux le moindre mal : l’effet peut être de son populisme idéologique et rigide. En tout cas, la majorité de la classe politique soutient le principe du « vote républicain » au 2e tour, dans la logique de 2002 (Chirac-Le Pen).Encore une fois, lorsque le candidat d’un des partis de type républicain et démocratique l’emporte au 1er tour contre un dirigeant du Front National, le mode de scrutin du 2e tour se transfigure en mode de scrutin au 1er tourde fait. Le candidat républicain a dans ce cas de très fortes chances de l’emporter contre le candidat de l’extrême droite au 2e tour. Quoique, le report des voix n’est ni sûr, ni systématique. Les électeurs ne sont pas tous disciplinés. Les imprévus sont toujours possibles, comme au 1er tour. Un moindre incident peut modifier les proportions et enflammer les médias, les réseaux sociaux et les électeurs. Chose qu’on a vu aux présidentielles américaines entre Trump et Hillary, où il y a eu plusieurs changements de dernière minute. Les démocraties modernes sont devenues surmédiatisées. Une autre campagne plus musclée va sans doute opposer ces deux prétendants au 2e tour.


Macron devrait aussi, s’il gagne au 2e tour, et dans la perspective des législatives, s’atteler à donner une assise partisane à son mouvement. En Marche ressemble en fait beaucoup moins à un parti organisé et structuré qu’à un mouvement sociétal spontané et informel, à travers lequel les militants et les jeunes qui l’entourent ont eu l’occasion de rejeter la division politique du pays entre deux blocs, et l’accaparement abusif de la vie politique par les deux vieux partis, idéologiquement séparés, mais indirectement « complices ».


Les Français ont donné en tout cas une prime à la jeunesse et à la nouveauté. On le voit un peu partout dans le monde, les jeunes prennent de plus en plus le pouvoir en démocratie. Si on suit l’ordre du plus jeune au moins jeune, on aura la liste suivante des dirigeants jeunes: Nicola Renzi (Saint-Marin), 36 ans ; Charles Michel (Belgique), 39 ans ; Emmanuel Macron (France), 39 ans ; Matteo Renzi (Italie), 40 ans ; Atifete Jahjaga (Kosovo), 40 ans ; Alexis Tsipras (Grèce), 41 ans ; Youssef Chahed (Tunisie), 41 ans ; Xavier Bettel (Luxembourg), 42 ans ; Justin Trudeau (Canada), 43 ans ; Andrzej Duda (Pologne), 43 ans. Sans compter d’autres jeunes de pays autoritaires, comme Kim Jong-un (Corée du Nord), 32 ans ; Tamim ben Hamad Al Thani (Qatar), 35 ans, ou encore de jeunes dirigeants de parti dans des pays démocratiques, comme Pablo Iglesisas, leader de Podemos (Espagne), 38 ans. Podemos veut dire déjà en espagnol, « Nous pouvons » (Yes, we can), une mentalité qui n’est pas éloignée de celle de Macron et de son mouvement « En marche ».


 En tout cas, au premier tour Macron, le jeune élève modèle de l’élite française, le libéral de gauche, a réussi à faire une révolution contre le système politique établi, dans l’espoir d’en faire une autre contre l’ultra droite. Ce faisant, il incarne l’espoir contre le repli, une Europe raisonnable contre le nationalisme souverainiste, la modernité contre l’archaïsme. Sa politique conciliatrice a déjà porté ses fruits au 1er tour, il devrait s’ouvrir encore vers la gauche et la droite s’il espère demain gouverner avec une majorité stable au parlement. Il ne lui sera pas facile de se faire une place pour gouverner.


Hatem M’rad

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