Menace de destitution du président Trump

 Menace de destitution du président Trump

Les professeurs de droit Noah Feldman


La procédure d’impeachment est lancée contre le président Trump. Elle est depuis quelques jours entre les mains de la Commission des affaires judiciaires de la Chambre des Représentants. Le seul doute qui persiste sur cette procédure, c’est que le Sénat, qui aura à juger définitivement sur la destitution, est entre les mains des Républicains.


Si le président américain est souvent perçu comme un homme surpuissant en politique internationale, à l’intérieur de son pays, il reste dans l’Etat de droit américain et sous l’égide de la Constitution, « persécutable » et condamnable par la justice. Sa destitution peut être prononcée par le Congrès, pour peu qu’il serait impliqué dans des affaires criminelles. La procédure associe pour les besoins de la cause les deux chambres du Congrès. Une procédure qui a été appliquée dans le passé à d’autres présidents, sans pourtant pouvoir aboutir à leur destitution. Dans un système démocratique, un régime présidentiel soumis à l’Etat de droit, ne peut inquiéter outre mesure les citoyens, comme le croient improprement ses interprètes non américains, souvent obnubilés par son application dans les dictatures latines, africaines ou arabes.


De fait, le président Trump, qui porte beaucoup d’espoir sur un éventuel deuxième mandat, dont l’issue lui serait favorable en raison de la bonne santé économique des Etats-Unis, se trouve actuellement sous la menace d’une procédure de destitution actionnée par le Congrès américain. La mise en accusation a été déclenchée à partir d’un échange téléphonique entre Trump et son homologue ukrainien, Volodymyr Zelensky, le 25 juillet dernier. Au cours de cette conversation, le président des Etats-Unis a demandé à son interlocuteur l’ouverture d’enquêtes visant ses adversaires politiques, dont l’ancien vice-président démocrate Joe Biden, candidat à l’investiture pour la présidentielle de 2020, et qui plus est, son plus grand rival dans la course, en échange d’une visite à la Maison Blanche et d’une aide militaire de 400 millions de dollars destinés à ce pays en guerre contre la Russie. Une aide bloquée par Trump lui-même sans aucune raison officielle, justifiant « le donnant-donnant » de la transaction.


La procédure de mise en accusation de Donald Trump a franchi une nouvelle étape, mercredi 4 décembre, avec la première audition de la Commission des affaires judiciaires de la Chambre des Représentants, responsable de l’enquête sur l’affaire ukrainienne. L’enquête menée d’abord par la Commission du renseignement, qui a interrogé plusieurs témoins, a abouti à un rapport de 300 pages (The Trump-Ukraine Impeachment Inquiry Report), accablant de preuves sur deux éléments : « le président a conditionné une invitation à la Maison Blanche et une aide militaire à l’Ukraine à l’annonce d’enquêtes favorables à sa campagne », et il a « entravé » les investigations. D’après ce document, « aucun président n’a bafoué à ce point la Constitution et le pouvoir de supervision du Congrès ». Pour la Commission, « le président a placé ses intérêts personnels au-dessus des intérêts nationaux, a cherché à miner l’intégrité du processus électoral américain et mis en danger la sécurité nationale ». Des accusations très sérieuses. Il revient maintenant à la Commission des affaires judiciaires de rédiger les dispositions de l’Acte sur lequel les élus auront éventuellement à se prononcer.


On le sait, la procédure américaine d’impeachment est très lourde à manier et n’a pas toujours eu les effets escomptés, même si ses étapes formelles sont rigoureusement suivies dans ce type d’action, aussi exceptionnelle soit-il. Les étapes sont longues, laborieuses et patientes. Elles allient le pragmatisme, la démocratie (votes), et l’équité dans l’application du droit. Voici ses étapes :


La procédure commence, première étape, par une annonce officielle de mise en accusation. Elle a été faite par Nancy Pelosi, la présidente de la Chambre des Représentants (Speaker of the House). Selon la Constitution, la Chambre des Représentants peut destituer un président ou autres officiers civils (y compris les magistrats), s’il a commis « trahison, corruption et délits graves ». Ce qui est crime ou délit grave est bien entendu sujet à interprétation. Les enquêteurs doivent se demander si les agissements de Trump pouvaient rentrer dans le cadre de ces violations. Dans une deuxième étape, il est procédé à une enquête formelle par la Commission du Renseignement de la Chambre (13 démocrates et 9 républicains) dont Adam B. Schiff en est le chairman. Trois présidents ont atteint ce stade de l’enquête (Andrew Johnson, Richard Nixon et Bill Clinton). Puis intervient dans une troisième étape, la Commission des affaires judiciaires de la Chambre, dont Jerold Nadler est actuellement le Chairman (24 démocrates et 17 républicains),qui aura un rôle crucial. Ce sont ses membres qui voteront pour savoir s’il existe ou pas des motifs de mise en accusation. On en est là aujourd’hui dans la procédure relative à Trump. Cette Chambre a auditionné le 4 décembre dernier quatre grands professeurs de droit constitutionnel, trois choisis par les démocrates: Noah Feldman de l’Université de Harvard, Pamela Karlan de l’Université de Stanford, Michael Gerhardt de l’Université de Caroline du Nord ; et un professeur choisi par les républicains : Jonathan Turley de l’Université George Washington. Globalement les constitutionnalistes démocrates ont estimé que l’idée même qu’un président puisse demander de l’aide d’un gouvernement étranger pour sa campagne de réélection est horrible, allusion sans doute à la violation du droit de vote des citoyens, ainsi que de la souveraineté de tout un peuple. C’est quasiment un crime contre la démocratie. Ils considèrent que si on ne peut plus mettre en accusation un président qui utilise son pouvoir à des fins personnelles, c’est qu’on ne vit plus en démocratie, mais en dictature ou dans une monarchie. Si la majorité de la Commission judiciaire décide, à la suite de toutes ses audiences, qu’il existe des motifs de destitution, ses membres rédigeront l’Acte de destitution et le présenteront à la plénière. Ces accusations dirigées contre le président autoriseront sa poursuite dans un procès.


La quatrième étape concerne le vote sur chaque article de mise en accusation par la Chambre plénière des Représentants (235 démocrates, 198 républicains, un indépendant). Si le vote est favorable, Trump est mis en accusation. Autrement, la procédure est arrêtée, et Trump reste en fonction. Dans une cinquième étape, si la majorité des membres de la Chambre des Représentants vote pour la destitution, la Chambre renvoie l’Acte d’accusation au Sénat pour ouvrir le procès. Le président Nixon a démissionné après la publication des bandes d’enregistrement sonores de son bureau, avant que la Chambre des Représentants n’ait eu la possibilité de voter. La sixième étape se rapporte au procès devant le Sénat. C’est ici le Chief Justice des Etats-Unis, John G. Roberts Jr., et non le président du Sénat, qui préside l’assemblée, parce que le Sénat agit dans ce cas en tant que jury. Le président de la République sera appelé à comparaître et à répondre aux accusations. Les « directeurs » de la Chambre des Représentants exposent les accusations et les avocats du président se chargent de le défendre. Les deux parties peuvent appeler des témoins et procéder aux contre-interrogations. La septième et dernière étape est celle du vote du Sénat (53 républicains et 45 démocrates, 2 indépendants). Pour condamner Trump, 67 votes seront nécessaires, c’est-à-dire les 2/3 du Sénat. Autrement, il reste en fonction. Le vote se déroule en séance publique. Une fois le procès terminée, le Sénat délibère à huis-clos. Si le président est condamné, le vice-président devient président. Le président Clinton, qui a atteint, lui cette phase, a été acquitté par le Sénat.


Certes, la destitution, comme toute la procédure l’indique, ne reste pas seulement tributaire des questions de forme, mais aussi des considérations politiques, relevant de la composition des deux chambres concernées et des rapports de force entre les Démocrates et les Républicains en leur sein. Si les Démocrates peuvent facilement procéder à l’accusation dans la Chambre des Représentants en raison de leur domination majoritaire dans cette Chambre, il ne faut pas oublier que c’est le Sénat qui juge et qui prononce la destitution finale. Or les Républicains, c’est-à-dire le camp de Trump, est majoritaire au Sénat. Le président Trump ne sera alors probablement pas destitué.


Il reste que la menace de la destitution qui pèse sur tout président américain est de nature à rééquilibrer le système politique dans le sens des vœux des Founders Fathers de la Constitution américaine, qui ont pensé le régime en termes de check and balance, de limitation de pouvoir, et non en termes de pouvoir central, aussi nécessaire que soit ce dernier. Le régime présidentiel américain n’a pas été conçu à l’origine comme étant le régime du président, mais comme le régime du verrouillage du pouvoir du président. S’il faudrait, pour préserver la liberté, les droits individuels, l’égalité devant la loi, l’esprit et les institutions libérales, l’équilibre entre l’Etat fédéral et les Etats fédérés, destituer un président de la République, qui se croirait au-dessus de tous, sous prétexte qu’il représente tout un peuple, qui fait prévaloir ses intérêts personnels sur l’intérêt national et sur la Constitution, alors on le jugera et on le destituera. C’est aussi cela le modèle libéral.

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