Portrait. Dora Baghriche, un nez en liberté

Dora Baghriche, de la fleur d’oranger d’Alger aux fragrances du luxe contemporain. (Photo : © Nathalie de Lopez)
De son enfance algéroise imprégnée de fleur d’oranger à ses créations pour de grandes marques du luxe, Dora Baghriche conçoit des fragrances comme on écrit des récits intimes. Après vingt ans passés au sein de la maison de composition Firmenich la créatrice a choisi de se réinventer dans la parfumerie d’auteur.
Mon Paris de Yves Saint Laurent, You de Glossier ou encore Fame de Paco Rabanne. Derrière ces trois parfums iconiques se cache une personnalité déterminée : Dora Baghriche.
Le métier de nez est longtemps resté l’apanage des hommes. Parvenir à s’imposer dans le cercle très fermé des nez de renom quand on est une femme venue d’ailleurs n’a rien d’une évidence.
Depuis son enfance à Alger, Dora Baghriche a toujours baigné dans les odeurs. Elle garde en mémoire les senteurs qui émanaient des cuisines de ses grands-mères, toutes deux pâtissières. Arômes d’amande, de fleur d’oranger et de pignons de pin imprégnaient la maison où elle a grandi.
« Ma grand-mère mettait quelques gouttes d’eau de fleur d’oranger sur ma tétine pour m’aider à dormir. C’était mon doudou olfactif », confie-t-elle. Ces souvenirs sensoriels façonneront son imaginaire. Lorsque la décennie noire pousse sa famille à s’installer en France, elle emporte avec elle ce bagage invisible.
À 13 ans, elle débarque à Paris, curieuse de tout. L’écriture la passionne autant que les parfums. « Je me rêvais écrivain ou journaliste », raconte-t-elle. Cette autre voie s’exprimera plus tard, avec la parution en 2021 d’une anthologie de la « littérature parfumée » intitulée Le goût des senteurs chez Mercure de France. En introduction, elle y cite Gaston Bachelard : « L’odeur, dans l’enfance, dans une vie est, si l’on ose dire, un détail immense. »
Le déclic survient lorsqu’elle découvre, au détour des pages d’un magazine, le portrait du créateur de parfums Dominique Ropion. Une révélation : elle comprend qu’elle pourra écrire avec les odeurs. Après le bac en 1997, elle s’oriente vers la chimie puis rejoint l’ISIPCA, l’école de référence de la parfumerie.
Très vite, elle intègre le groupe Firmenich, d’abord à Genève puis à New York, avant de s’installer à Paris au début des années 2000. Là, elle devient la première élève à passer directement à la parfumerie fine et signe ses premières créations pour Cacharel, Versace ou Armani Privé.
Son style se précise : instinctif, lumineux et nourri de contrastes. Elle aime faire dialoguer la rigueur et l’émotion, le vintage et l’avant-garde. Fidèle à certaines matières (fleur d’oranger, tubéreuse, encens, poivre), elle les réinvente avec gourmandise. L’accord poire-chocolat d’Anaïs Anaïs Premier Délice ou la cerise inspirée d’une pâtisserie japonaise pour Flower Cherry Poppy de Kenzo en sont les meilleures illustrations.
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Après vingt ans chez Firmenich, Dora Baghriche ressent le besoin d’explorer d’autres sillages. À la fin de l’été dernier, elle a quitté ce mastodonte suisse pour rejoindre Luzi, une maison familiale helvétique, où elle travaillera sur des projets à taille humaine.
Ce changement de cap intervient à un moment personnel charnière. « Un parfum raconte toujours une période de ma vie », résume-t-elle. De la fleur d’oranger de son enfance aux notes avant-gardistes d’aujourd’hui, Dora Baghriche compose, à chaque création, un fragment de son autobiographie olfactive : libre, féminine et résolument moderne.
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