Randa Maroufi révèle Jerada et consacre un cinéma marocain en pleine ascension

Avec cette reconnaissance cannoise, Randa Maroufi offre non seulement un prix au Maroc, mais surtout une visibilité internationale à un cinéma qui parle autrement
À l’occasion de la 63ᵉ édition de la Semaine de la Critique du Festival de Cannes, qui s’est tenue du 15 au 23 mai 2025 en parallèle de la compétition officielle, la cinéaste et artiste visuelle Randa Maroufi a été distinguée pour son court métrage L’Mina.
Une œuvre à la frontière du documentaire, de la fiction et de la performance. Ce film de 26 minutes, tourné avec d’anciens mineurs de Jerada, a reçu le Prix Découverte Leitz Cine, l’une des distinctions les plus importantes de cette section dédiée à l’émergence de nouveaux talents du cinéma mondial.
À travers un dispositif cinématographique rigoureux et engagé, L’Mina éclaire la tragédie silencieuse d’une ville marocaine meurtrie par l’héritage de son passé industriel. Depuis la fermeture officielle des mines de charbon en 2001, Jerada vit au rythme de l’illégalité et du deuil. Des centaines de mineurs continuent de s’aventurer clandestinement dans les galeries désaffectées, risquant leur vie dans des puits souvent mortels. Un drame social invisible que Randa Maroufi choisit de rendre tangible à l’écran, en convoquant l’histoire collective, la mémoire des corps et l’espace comme théâtre de luttes.
Un cinéma marocain qui s’affirme sur la scène internationale
La récompense attribuée à Randa Maroufi n’est pas un cas isolé : elle s’inscrit dans une dynamique plus large, celle d’un cinéma marocain de plus en plus remarqué sur la scène internationale, en particulier dans les festivals majeurs. Ces dernières années, les œuvres venues du Maroc se sont multipliées dans les sélections cannoises, berlinoises ou encore à la Mostra de Venise, portées par une nouvelle génération de réalisateurs et réalisatrices engagés, explorant les tensions sociales, les identités multiples, et les fractures intimes d’un pays en mutation.
Dans cette effervescence créative, des figures comme Nabil Ayouch, Maryam Touzani, Faouzi Bensaïdi ou encore Sofia Alaoui ont contribué à ouvrir la voie. Mais le geste artistique de Randa Maroufi, plus ancré dans les langages de l’art contemporain, élargit encore le spectre des formes narratives et plastiques. Son travail hybride, à la croisée de l’image fixe et du cinéma, interroge non seulement le réel, mais aussi les codes mêmes de sa représentation.
L’empreinte singulière de Randa Maroufi
Née en 1987 à Casablanca, Randa Maroufi est issue d’une double formation : d’abord à l’Institut National des Beaux-Arts de Tétouan, puis à l’École supérieure des Beaux-Arts d’Angers, avant d’intégrer le prestigieux Fresnoy – Studio national des arts contemporains en France. Cette trajectoire franco-marocaine nourrit une œuvre profondément transversale, où se croisent photographie, installation, vidéo et film.
Son approche repose sur l’ambiguïté des mises en scène, la chorégraphie des corps dans l’espace, et une tension constante entre le visible et le caché. Parmi ses projets les plus notables : Bab Sebta (2019), Stand By Office, Hors Titre, Area 5 ou encore Nevada, USA. Des œuvres qui témoignent d’une attention aiguë au politique, au social et à l’esthétique, et d’une volonté de brouiller les frontières entre fiction et réalité.
Cannes 2025 : une édition marquée par l’émergence et l’engagement
Le Festival de Cannes 2025, dans son ensemble, a mis en lumière de nombreuses voix venues des marges, avec une programmation dense et résolument politique, notamment dans ses sections parallèles comme la Quinzaine des Cinéastes, Un Certain Regard et la Semaine de la Critique. Dans cette édition marquée par les questions de territoire, d’injustice sociale et d’exil, le prix remis à L’Mina résonne avec force.
Avec cette reconnaissance cannoise, Randa Maroufi offre non seulement un prix au Maroc, mais surtout une visibilité internationale à un cinéma qui parle autrement, depuis les marges et pour les marges. Loin du folklore ou des clichés, ce cinéma assume sa complexité, ses audaces formelles et son regard critique sur les réalités du pays. Et surtout, il prouve qu’il est possible de transformer la douleur en image, l’invisible en langage, et l’art en acte politique.
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