Rentrée littéraire. Au bout du téléphone, les mots qu’on ne dit pas…

 Rentrée littéraire. Au bout du téléphone, les mots qu’on ne dit pas…

Allô la place, Nassera Tamer, Éditions Verdier. Crédit photo : © Miliana Salomé Rahouad

Dans Allô la place, Nassera Tamer donne voix à la douleur d’être transclasse et fille d’immigrés. Un récit vibrant qui dit l’impossible dialogue avec les siens, à l’heure de l’hypercommunication.

L’intime et la cellule familiale traversent nombre des 484 romans de cette rentrée littéraire. Dans le chœur des nouvelles voix de cette rentrée, celle de Nassera Tamer résonne avec une sincérité désarmante. Avec Allô la place, elle livre bien plus qu’une fiction : ce premier ouvrage est un récit autobiographique qui met en lumière la condition de « fille d’immigrés marocains » et l’expérience de transclasse. Le texte dit la douleur sourde du fossé qui se creuse avec ceux qui nous ont donné la vie, quand les mots viennent à manquer pour exprimer l’essentiel.

Comme d’autres avant elle – on pense à l’artiste Zineb Sedira et à son triptyque Mother Tongue, mais aussi à Leïla Sebbar avec Je ne parle pas la langue de mon père, qu’elle cite d’ailleurs – Nassera Tamer interroge la rupture linguistique qui traverse les générations. Paradoxalement, Allô la place paraît à l’heure où la communication est instantanée, où chacun est joignable en permanence, et pourtant il met en scène l’impossibilité cruelle de parler aux siens.

« Je pense à les appeler presque tout le temps. J’en ai même parfois l’intention. C’est ce que font les gens. Ils appellent leurs parents… Je me dis qu’il sera bientôt trop tard, je ne pourrai bientôt plus entendre leurs voix. Je n’appelle pas. Je repousse. J’attends. J’attends. Et plus j’attends, moins j’y parviens », confesse-t-elle non sans culpabilité.

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Ce livre est à la fois une exploration intime et un geste politique. Il illustre comment les fractures intimes, familiales et linguistiques façonnent nos identités contemporaines et nourrissent nos obsessions. La narratrice, double de l’auteure, traque partout ce qui lui manque : la darija. Dans les bribes de conversation saisies dans les transports, dans les taxiphones qu’elle fréquente assidûment…

Les pages du roman sont d’ailleurs jalonnées de prospectus de ces boutiques, véritables relais de lien et de reconnaissance. Et le livre tire son titre du nom d’un de ces lieux où l’on répare autant les téléphones que les cœurs brisés par l’exil.

Pour combler ce manque, il y a « Mer » – diminutif de Meriem mais qui résonne surtout comme « mère ». Avec elle, la narratrice réapprend la darija à distance. Cette figure devient l’écho obsédant de la distance affective et linguistique qui structure tout le récit. Ce jeu de résonances et de détournements confère au roman toute sa puissance singulière et universelle à la fois.

Allô la place sonne comme une âïta contemporaine, cet art ancestral marocain qui porte douleur et transmission. Il aurait toute sa place dans l’exposition éponyme présentée au Frac de Bordeaux. Et cet écrit, cri, ne s’interrompt pas mais se lit d’une seule traite.

Allô la place, Nassera Tamer, Éditions Verdier