Reposer en paix au musée ? Le débat que pose « Momies »

 Reposer en paix au musée ? Le débat que pose « Momies »

Exposition Momies, au Musée de l’homme, jusqu’au 25 mai 2026. Exposition Momies, au Musée de l’homme, jusqu’au 25 mai 2026. Crédit photo : © MNHN – J.-C. Domenech

Avec Momies, le Musée de l’Homme expose neuf corps momifiés, mais surtout une question essentielle : les morts doivent-ils rester des objets de collection ? Entre transparence, contextualisation et muséographie prudente, l’institution tente de réhumaniser ces défunts tout en laissant ouverte la question de leur place dans les musées.

 

« Ce n’est pas une exposition sur les momies », prévient d’emblée Aurélie Clément-Ruiz, directrice du Musée de l’Homme, en amont du vernissage de l’exposition pourtant intitulée Momies. Une manière de lever tout malentendu.

Ici, il ne s’agit pas de nourrir une fascination morbide, mais d’expliquer deux processus : celui de la conservation des corps et celui qui a mené ces dépouilles, depuis le Nil et d’autres régions du monde, jusqu’aux vitrines de l’établissement parisien. « Les momies fascinent, mais justement, ce qu’on propose ici, c’est de partir à la rencontre de ces défunts », nuance-t-elle.

 

Le musée possède aujourd’hui près de soixante-dix corps momifiés dans ses collections. Neuf d’entre eux, issus de cultures et d’époques différentes, sont présentés au public. Leur exposition vise à soulever une question incontournable : que signifie montrer des restes humains ? « Chacun des défunts est seul dans sa vitrine. Par choix éthique, il n’y a pas de cartel, mais une fiche d’identité détaillée », ajoute la directrice.

Crédit photo : © MNHN – J.-C. Domenech

On y trouve des éléments biographiques lorsque disponibles (nom, âge, cause du décès, localisation, période) ainsi que la trajectoire du corps dans les collections. La transparence est totale, y compris lorsque les prélèvements ont eu lieu en contexte colonial ou que les conditions d’acquisition sont floues ou suspectes.

Pour éviter l’effet de surprise et permettre à chacun de s’approcher ou de contourner la vitrine, un bandeau textile semi-transparent a été installé. Cette muséographie a été pensée pour préserver la dignité humaine.

Un encart revient sur l’origine du mot « momie ». Issu de l’arabe mumya, qui désignait un baume de bitume utilisé pour conserver les corps, le terme ne s’est appliqué qu’à partir du XVIᵉ siècle au corps préservé lui-même.

Crédit photo : © MNHN – J.-C. Domenech

Ce glissement sémantique a d’ailleurs contribué à la dépersonnification des individus. L’exposition, à l’inverse, cherche à retisser le lien avec les personnes qu’ils étaient.

Le parcours s’ouvre sur des références familières – figurines Lego emmaillotées, affiches de films – rappelant l’omniprésence de la momie dans la culture populaire. Il se décline ensuite en quatre sections, ponctuées d’œuvres contemporaines.

Le premier cliché déconstruit est que l’Égypte antique n’a pas le monopole de la momification. La préservation des corps fut pratiquée en Sicile, en Indonésie chez les Toraja, aux Canaries chez les Guanches (autochtones d’origine amazigh) et même bien avant les Égyptiens.

« Les premiers défunts momifiés connus sont ceux du peuple Chinchorro, au Chili, 7 000 ans avant notre ère », rappelle Éloïse Quétel, conservatrice-restauratrice de restes humains.

Crédit photo : © MNHN – J.-C. Domenech

Cette diversité illustre que la momification est à la fois une technique et un rapport au deuil et à l’au-delà. Une section importante revient sur l’essor de l’archéologie et sur la constitution des collections occidentales dès le XVIIIᵉ siècle, notamment durant la période coloniale. Elle évoque également le commerce des momies et les débats contemporains autour de leur conservation ou de leur restitution.

Ces questions s’inscrivent dans une problématique internationale plus large. De nombreux musées sont aujourd’hui confrontés à des demandes de restitution, notamment lorsque les corps ont été collectés en contexte colonial. Les protocoles éthiques élaborés par l’ICOM (Conseil International des Musées) ou l’UNESCO poussent désormais les institutions à reconsidérer la légitimité même d’exposer des restes humains.

Reposer en paix au Musée ? Le débat que pose « Momies »
Crédit photo : © MNHN – J.-C. Domenech

En fin de parcours, les visiteurs sont invités à partager leurs impressions sur la manière dont les restes humains, qui restent in fine des cadavres, sont montrés. Préservés pendant des siècles, ces corps n’ont pas été faits pour être vus, mais pour être honorés. Momies cherche à rendre une humanité à des individus longtemps réduits à des objets d’étude. Et si l’exposition assume de donner à voir ces dépouilles pour mieux interroger leur présence dans les collections, elle ouvre aussi une réflexion plus large.

Il est aujourd’hui difficile d’exposer des corps sans questionner la légitimité de ce geste. Le musée propose une réponse respectueuse et transparente, tout en laissant chacun libre de se demander si la place de ces défunts est encore vraiment dans les vitrines. Ironiquement, en assumant cette mise en lumière pour interroger la légitimité de leur exposition, le musée se retrouve face à un paradoxe manifeste, inscrit jusque dans le titre.

 

Momies – jusqu’au 25 mai 2026
Musée de l’Homme
Place du Trocadéro, 75016 Paris