#2 Au cœur de la production de chloroquine et d’azithromycine

 #2 Au cœur de la production de chloroquine et d’azithromycine

crédit photo : Malika El Kettani


Deuxième partie : Ce sont 6 « ouvriers de l’ombre », qui assurent nos besoins thérapeutiques en France et au Maroc. Impliqués dans la production des deux produits phares du procédé du Dr Raoult, ils/elles sont techniciens, chimistes, pharmaciens, à la partie commerciale ou au conditionnement. Leur parole est rare comme dans le nucléaire ou l’armement. A condition de leur assurer leur parfait anonymat*, ces petites mains de la seconde ligne nous dévoilent leur univers. Leurs mots d’ordre : sens de l’engagement, fierté et technicité.


#Lire la première partie : #1 Au coeur de la production de la chloroquine et de l'azithromycine


En France comme au Maroc, le personnel arrive en tenue de ville. Certains sont obligés de prendre une douche. Personne ne peut entrer dans un sas de la fabrication sans une tenue réglementaire.


« Peu importe le médicament que l’on va produire, on est protégé de la tête aux pieds, explique Rabah* à Saint-Genis-Laval. On travaille avec des combinaisons de différentes couleurs en fonction des laboratoires. On est dans des salles recyclées à 100% pour éviter aux salariés l’exposition aux produits chimiques


Un autre collègue marocain nous confirme aussi ces dispositions nécessaires. « Quand j’arrivais dans mon sas, je devais porter une tenue anti-particules, nous raconte Mostafa*. Je portais un pantalon, une veste, des gants, un masque ventilé, une charlotte et des sur-chaussures. Le sol avait également un traitement spécial. »


Elisabeth* de la compression abonde dans son sens. « Je n’ai pas le droit d’être maquillée, de porter des boucles d’oreilles ou que des cheveux dépassent. J’ai senti une fois que j’avais les prémices d’une grippe, je ne suis pas venue au travail. Cela ne sert à rien de contaminer tout le monde


Dans la première salle, se trouvent les matières premières au nombre de deux : le principe actif et l’excipient. « L’excipient arrive en fût en général, indique Rabah*. C’est souvent de l’amidon, du sucre, des colorants. Son rôle essentiel est de permettre sa digestion par l’appareil gastrique. De l’autre coté, on a des fûts plus petits contenant le principe actif, molécule comprenant l’effet thérapeutique. Avant toute fabrication, il faut en vérifier sa qualité.»


80% des principes actifs viennent d’Asie


Pour ce qui est de la Nivaquine produit en France et au Maroc, le principe actif est la chloroquine sulfate. Elle vient d’Inde. Il est composé de matières végétales mais aussi d’une synthèse chimique.  « Je me souviens qu’il y a plus d’une dizaine d’années, on recevait des principes actifs depuis Francfort en Allemagne ou de France, explique Elisabeth*.  Depuis 10 ans, 80% de la production des principes actifs vient d’Asie (Chine ou Inde). Tout le monde s’y est mis, même les Américains ! »


En effet, il y a 30 ans, seulement 20% des matières actives étaient importées. Les sites européens les plus importants de chimie fine étaient à Brindisi en Italie, Francfort en Allemagne, Haverhill au Royaume-Uni, Ujpest en Hongrie et enfin plusieurs  sites en France, comme ceux de Saint-Aubin les Elbeuf, Vertolaye ou Sisteron.


Selon Mostafa*, « ce mouvement est purement lié aux coûts. Les matières actives étant sur place, les industries pharmaceutiques ont préféré délocaliser. Les produits arrivent en bateau au bout de 2 à 3 mois. Je ne sais pas comment cela va se passer avec le confinement indien et la forte demande mondiale. »


C’est cette stratégie de mondialisation à outrance qui est critiquée aujourd’hui. « Je me demande encore comment on en est arrivé là, s’exprime Elisabeth avec une colère froide. Nous sommes pourtant une industrie très règlementée. Comment l’Etat a pu laisser faire ça ? Pourquoi aucun gouvernement n’a réagi avant ? »


Un mélange façon couscous


Outre l’informatique, qui est elle-même vérifiée, les salariés ont en main un BAT (Bon à tirer) où tout est consigné. Ces éléments font partie de ce qu’on appelle le dossier du lot. Rien n’est laissé au hasard : contrôle de l’air, de l’eau, particulaire, du produit. Toutes les heures, le responsable de chaque étape vérifie. « Le produit doit être le même pour tout le  monde, insiste Rajae*. Si c’est écrit 100 mg sur la boite, il faut que le dosage soit de 100 mg et non de 80. Le poids, le dosage, les quantités doivent être identiques. Tant que le dossier du lot n’est pas complet, le lot n’est pas libéré


Une fois la mise en œuvre décidée, commence la première étape : la granulation. Dans un « set » séparé par des sas, les salariés observent une grande machine dite LAS. Tout ce qui entre, sort d’un autre coté. Aucun contact possible entre les produits arrivants et ceux sortants.


La chambre subit un traitement de l’air en surpression, pour éviter la dissémination des produits. « Outre le principe actif et l’excipient, on rajoute de l’eau, évidemment traitée aux normes pharmaceutiques pour faire la granulation, nous explique Elisabeth*. On dirait un immense couscous (rires). Il peut arriver que l’on opère un pelliculage ou enrobage, une couche qui sert à la résistance gastrique pour que le médicament arrive au bon endroit dans le corps


« Qui sait faire de la Nivaquine, peut faire du Plaquenil »


Lors de cette étape, un léger parfum se dégage. Rabah* parle « d’odeurs, qui montent au nez.  Ca peut sentir la fraise, un arôme comme pour l’utilisation d’huiles essentielles mais ce ne le sont pas. Le salarié est constamment protégé. » Le mélange doit être uniforme et homogène.


« La granulation est le lieu où se passe les réactions chimiques, explique le chimiste Mostafa*. Nous produisons de la Nivaquine qui est de la chloroquine sulfate. Le Plaquenil quant à lui est de l’hydroxychloroquine. La différence entre les deux est purement chimique. Dans l’un, on a un hydroxyde au dessus (OH) alors que dans l’autre on a du sulfate. »


Les deux produits sont issus de l’écorce amère de l’arbre à quinquina. En 1820, deux pharmaciens français en isolent un alcaloïde fondamental : la quinine. Des chimistes allemands élaboreront durant l’entre-deux-guerres, les antipaludéens de synthèse.


La différence entre les deux se situe au niveau du prix. La Nivaquine est à 1 euro au Maroc et 2,14 euros en France, là où le Plaquenil est à peu près au même prix dans les deux pays, soit 4,17 euros. La Nivaquine est un antipaludique alors que le Plaquenil a une fonction antirhumatismale en plus d’être un antipaludique. « Ils ont les mêmes procédés de fabrication, soutient Mostafa*. C’est extrêmement simple de passer d’un procédé à l’autre. Qui sait faire de la Nivaquine, peut faire du Plaquenil. Il suffit juste de  changer de matière première. »


Une fois la phase de granulation assurée, le LAS s’occupe du séchage du produit. Dans des cuves de 200 à 400 kilos, ces « grains» uniformes et parfaitement homogènes, vont subir une dernière étape dans le process de fabrication, la compression. Le tout évidemment avec des mesures de contrôle de qualité ! Rabah* assure que «durant tout le process, il y a toujours un nettoyage du matériel, des cuves et de tout l’équipement.»


Des zones blanches hyper protégées, on passe alors dans des zones moins « à risques » que durant la fabrication, celle du conditionnement car le comprimé est déjà dans son étape finale. Il ne risque plus rien et sort dans des fûts vers la zone du magasin.


Même fabriqué, le médicament n’est pas pour autant commercialisé.


Lors du conditionnement primaire, les médicaments passent sous blitzer, c’est-à-dire qu’ils sont mis dans des paquets recouverts d’une plaque d’aluminium. Enfin, le secondaire consiste à mettre les plaques de médicaments dans leur étui souvent en carton.


Jacques évoque un « habillement plus léger. Nous gérons avec des gilets jaunes, lunettes de protection et des chaussures de sécurité. C’est très bien rangé. On est dans le monde pharmaceutique qui est très strict. On ne fait pas des bonbons ! » 


Durant tout le process, les médicaments sont accompagnés de leur dossier de lot. Pour autant le produit ne sort toujours pas de l’usine. Il est placé en quarantaine. « Tant qu’il n’a pas reçu la validation, il ne peut pas sortir, insiste la pharmacienne. Le pharmacien responsable de la qualité va regarder les résultats du laboratoire chimique et microbiologique. Si un élément n’est pas bon avec le dossier du lot, la production est envoyée en destruction. » Les derniers contrôles en quarantaine peuvent prendre en tant normal entre 10 et 15 jours. En flux tendus, l’écart peut être réduit à une semaine. C’est la loi du « first in, first out » qui s’applique.


« Les grands laboratoires gardent les gros lots »


Le lot validé part ensuite au magasin de distribution de l’usine. C’est là que vont être répartis les lots entre stockage et commercialisation auprès des grossistes (répartiteurs), des hôpitaux, des cliniques ou des grands groupes de pharmacies.  Les marges sont connues à l’avance, comme l’explique Tahar* de la direction commerciale. « Le grossiste fait une marge de 10% en général selon les contrats et la quantité acquise. Le pharmacien a une marge aux alentours de 33-35%.»


De nombreux laboratoires pharmaceutiques ont au fil des années, déserté l’univers de la fabrication ou du conditionnement, bénéficiant d’autorisation de mise sur le marché. Famar Lyon seul ne peut commercialiser le produit Nivaquine sans une commande du laboratoire Sanofi dont dépend l’autorisation de mise sur le marché.


Elisabeth* indique que le passage par un sous-traitant est devenu « monnaie courante. Les grands laboratoires gardent les gros lots et donnent les petits lots aux sous-traitants. Avec la mondialisation, ces sociétés ont cherché à gagner sur tout. Là où il y a une possibilité de récupérer des gains, elles le font. Cela peut concerner les principes actifs, la fabrication, le conditionnement ou la vente. »


Selon nos informations, Maphar pourrait augmenter sa production assez facilement dans les semaines et mois à venir. L’usine n’est qu’à 50% de ses capacités. Ses usines multiformes pourraient ainsi se mettre à produire en 3*8 en privilégiant la chloroquine aux autres produits. Pour ce qui est de Famar Lyon, la production continue mais aucune nouvelle commande n’a été passée, ni par Sanofi, ni par l’Etat. Les salariés attendent une réponse rapide des autorités de tutelle concernant une possible nationalisation. Car cette société cache des ressources insoupçonnées d’hommes et de femmes dont on parle peu.


La voix éraillée par l’émotion, Rabah veut croire qu’au sein de son entreprise, « il y a un vrai savoir-faire et un savoir-être. Il est certes lié au produit mais on n’a pas l’impression d’être les « oubliés » de la guerre contre le coronavirus. Les gens nous remercient. »


Pour sa part, le plaisir de Jacques est de retrouver ses enfants le soir. Dernièrement, il a été touché par l’intervention de sa fille. « Ma petite fille à qui son frère ainé a demandé quel était mon métier, a répondu : « Papa fait des médicaments pour sauver des gens ». J’en avais la larme à l’œil ! Même, un enfant peut voir ça, mais pas encore nos gouvernants. »


>> Voir aussi :


Au coeur de la production de chloroquine (1ère partie)


Les salariés de Famar Lyon toujours dans l'expectative


Tribune : Il faut sauver le soldat Famar Lyon


La France risque de ne pas pouvoir produire de la Chloroquine


* Tous les prénoms et fonctions ont été changés pour des raisons de confidentialité


 

Yassir Guelzim

Yassir GUELZIM

Journaliste Print et web au Courrier de l'Atlas depuis 2017. Réalisateur de documentaires pour France 5.